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perdue. Comme la Place fut rédaite en cendres,
& que ce paflage eft abfolument necciTaire pour
l e commerce , ¡1 y a beaucoup d'apparence que
l e s reftes de ces pauvres habitaiis, & les Marchands
étrangers qui s'y vinrent établir dans la '
f u i t e , pour ne pas tomber dims un pareil malh
e u r , fe retirèrent à Theodoliopolis qui en étoit
près , fuivant Cedren.
L e s Turcs à qui peut-être le n om de T'heodofïopoUs
parut trop long & trop embarraiîant, donnèrent
le nom à^Arts-zerhm à cette Place , c'eft
à dire Art te des * Grecs ou des Chrétiens , car
Rum OU Riimli lignifie en langue Turque la Romanie
ou Ja terre des Grecs. Ils diftÎliguent la
Romelie ou Rumili en celle d'Europe &en celle
d ' A i i e , ainlî ^Artzé-rurn on a fait Arzerum , &
Erzeroa , comme prononcent la plûpart des
Francs. Il ne faut pas confondre cette ville de
'ïheoàofiofolis avec une autre ville de m ême nom,
qui e'toit Tur le fleuve Abhorras en Mefopotamie,
& qne l'Empereur Anaftafe avoit fait revêtir de
f o r t e s murailles , comme l'ailure Procope. Ce
même Auteur fait mention de la TheodoJiopoUs
dont nous parions. On croit que c'eil Ortbogul
pere du fameux Othoman premier Empereur 'des
T u r c s , qui prit Erzeron ,-mais cela n'eil pas certain
, car l'Armenie avoit encore les Rois fous
S e l im premier. La reiTemblance des noms u pcrf
u a d d i plufieurs qu'Erzeron étoit la ville d'y^s/-
ri-s , que Ptolomée place dans la petite Armenie.
V o u s me permettrez , Monleigneur , de paiTer de
r é r u d i t i o n à THiiloire'naturelle. Nous obfcrvâmes
aux environs de cette ville une très-bellecfpecedeP/
îX'ei que les Turcs & les Arméniens appellent
AphioK , de. m ême que rOpinm commun ; cependant
ils ne tirent pas d'Opiumde Tefpcce dont
nous parlons, mais par ragoût ils en mangent les
têtes encore vertes , quoiqu'elles foientfort acres
& d'un goûtbrulant.
L a racine de cette plante eft groiTe c omme le
petit doigt & longue d'un pied , blanche en dedans
, brune en 'dehors , fibrcufe , pleine d'un
lai£t blanc-fale très-amer & trcs-acre. Ordinairement
les tiges font de la hauteur d'un pied &
demi ou deux , épailTes de trois ou quatre lignes,
d r o i t e s , fermes, vert-pâle, herifîees de poils
blanchâtres , roides, longs de trois lignes, iî ce
n'eft vers le haut où elles font couvertes de poils
ras. Les fênilles ont un pied de haut & font découpées
à peu près comme celles du Coandicoc
en plufieurs parties jufques v ers la cote. Oes pieces
ont environ deux pouces & demi de long far
neuf ou dix lignes de l.irge , vsrt-brnn & comm
e Uùfances fur certains pieds , recoupées fur
k s bords à groifes dents pointues & terminées
par un poil blanc, femblables à ceux qu¡ CQ,,
vrent les feuilles , & tous ces poils fom aufn
roides & aufii longs que ceux des tiges. Chaque
tige ne foùt ient le plus fouvent qu'une fieur dL
le bouton qui a dix-huit ou vingt lignes dc'lon?
eft couvert d'un calice à deu?: ou trois feuiih
membraneufes, creufes, blanchâtres fur le bore"
' herillées de poils. Elles tombent quand Jaflcùr
; s'épanouVt , & l'on s'apperçoit alors qu'elle el}
1 compofée depuis quatre jufques à lix feuilles
• longues de deux pouces &demi fur trois pouccs
: & demi de large , arrondies comme celles des
! autres Pavots & de la couleur du Goquelicoc
; plus ou moins foncé, avec une groITetâcliei
' l'onglet laquelle eft aulîi plus ou moins obfcure,
L e s feuilles intérieures font un peu plus étroiiw
que les extérieures , & tiennent fortement contre
le pedicule; fouvent même elles netombem
que deux jours après que la tige eft coupcc. L {
milieu de la fleur eft rempli par un piftile Ion?
d'un pouce , oblong, Iphérique fur quelques
pieds , vert-pâle , lille, arrondi vers le hauten
manière de calote purpurine "découpée en poimc
fur les bords, & relevée d'environ une douzaine
de bandes violet foncé , poudreufcs, lefquellcs,
partant du même centre , viennent fe dirtribuer
en rayon & fe terminer à une des pointes qui
font fur les bords. Ce piftile eft fnrmoint par
une groiTe toutie d'etamines à plulieurs rangs,
grifdelin luifant, chargées chacune d'un fomlnti
violet foncé, poudreux, long d'ups lii^iic ¿edemi
fur demi ligne de large. La Plante rciid un
fuc limpide,^ mais le piftile eft rempli d'un laici
blanc-fale très-amer & très-acre , de inémc que
la racine. Ce piftile devient un fruit ou coque,
Cette belle efpece de Pavot fephiît fort au Jardin
du Roi , & même en Hol lande où,nous i'avocs
communiquée à nos amis. Mr. Commcliyi\.-ih-\\ibile
ProfeiTeur de Botanique à Amf terdam , en a
donné la figure.
N o u s retournâmes le 24. Juin à Er2eroii,QÙ
nous apprîmes par Mr . Prefcot qui eft CüiiAil de
la nation Angloife depuis 10. ou 12. ans, qu'il
y avoit deux Caravanes prêtes à partir, l'une
dans trois jours pour Tocat , & l'autre dans 10.
ou 11. jours pour Teflis. Nous prîmes lepará
¿l'aller à Tef l i s non feulement pour voir la Geòrg
i e , qui eft le plus beau pays du monde, imis
aulTi pour cueillir à nôtre retour les graines de
tant de belles. Plantes que nous avions obfcrvccs
autour d'Erzeron. On aiTûroit de plus qu'il y
avoit beaucoup de voleurs fur le chemin de Toc
a t , qui fc recircroient fuivant leur coûtume ordinaire
fur la fin de l'Eté, à caufe qu'alors les
campagnes brûlées par les grandes chaleurs ne
fourniifei.t plus de fouraics. Il eft certain que
les