
D U L E V A N T . Lettre XV î l t J i j
a i e r de la bouze de vnche. Les boenfs y font
jj^j.frcquens, & on les y élevé autant pour cet
iifa^c, que en manger la chair. On enatj^
lcjufqiics à 14.. ou i v paires à une charrue
pour labourer la terre. Chaque paire a fon honiliie
qui laconduit, monte comme un pollillon;
tous CCS poflillons qui crient à chaque pas comme
les matelots qui font une manoeuvre , forineiK
cnfemble un charivari e'pouvaiitable. Nous
éiions faits à ce manegé depuis Erzcron. Ccn'eii
pas apparemment de ces terres de Géorgie dont
p a r l e Strabon, que l'oneffleuroit feulement avec
une charrue de bois , bien loin d'y employer le
fer,
C'eil un excellent pays que la Geòrgie. Dès
qü'oii cil fur les terres du Roi de Perfc, on vient
vous prcfenter toutes fortes de provilions , pain,
vin, poules, cochons , agneaux, moutons. On
s'adrelTe for tout aux Francs avec un vifage riant,
au lieu qu'en Turquie on ne voit que des gens
foieux qui vous me fu rent gravement depuis les
pieds jufques à la tête. Ce qui nous furprit le
plus, c'cit que les Géorgiens méprifcm l'argent
&ne veulent pas vendre leurs denrées. Ils ne ks
donnerît pas non plus, mais ils les troquent pour
des braifelets , des bagues,.des coliers de verre,
de petits couteaux, des aîguilles ou des épingles.
Les filles fe croyent plus belles quand elles ont
cinq ou fis coliers pendus au col, qui leur tombent
fur la gorge ; elles en ont aufll les oreilles
prnies , cependant tout cela fait un aiTez vilain
àslsge. Nous dépliâmes donc nôtre mercerie fur
legaxon ; & comme nous étions avertis de leurs
imiiiéres, nous avions employé dix ecus à Erzernn
en rncailles , comme ils difent, c'eft-à-dirc
cncmaiixde Venife qui font tous femblables à
ceux de Nevers. Ces rocailles nous produifireni
Iccintiiple, mais il ne faut pas trop s'en charger,
car on ne s'en défiait que par troc, ¿c ces trocs
Hi fe font que pour des chofcs nccelfaires à la
vie, & pendant deux journées feulejnent ; comme
(i les anciennes manières des Géorgiens ne
s'étoient confervées que dans cette contrée. Ces
sens-là, comme dit Strabon , font plus grands
& plus beaux que les autres hommes > mais leurs
moeurs font très-fimples, JIs ne fe fervent d'aucuwmoniioye,
d'aucun poids , d'aucune m e fur e ,
ìpeine fçavent-ils compter au-delà de cent. Tout
f«,fait chez eux par échange. Nous confiâmes
¿011C nôtre petit tréfnr à ces bonnes gens ; ils
Pîirent ce qui leur plût , mais ailurément ils
"'abiiférent pas de la confiance que noiis avions
eux. Ils nous donnoient une poule groiTe commis
un dindon , pour un colier de lis blancs , &
Jji'« grande mcfure de vin pour des, braiTclets de
'"'^hiiii deniers. Les cochons s'y promenoient en
'Olite liberté , au lieu qu'en Turquie on les chalic
comme des animaux immondes; on dît qu'ils font
beaucoup meilleurs dans la Geòrgie qu'ailleurs, ^
mais je crois que c'eft parce que la plupart des
voyageurs, qui ont ordinairement beaucoupd'appetit,
trouvent tout excellent; en eiFet Icsjim- •
bons nous parurent un mets nouveau , car
nous n'en avîpns point mangé depuis que nous
avions quitté l'Archipel -es Géorgiens traitent
les Turcs d'ignorans i ^e ridicules fur l'ufagc
des cochons 5 les Turcs au eontraire appellent
les Perfans fchipaiaticjucs^ & les Géorgiens infideles
, parce qu'ils mangent fans fcrupule la chair de
ces animaux.
A l'égard des Géorgiennes , elles lie nous furprirent
pas, parce que nous nous attendions à voir
des bcautcz parfaites , fuivant ce qu'on en dit dans
le monde. Les femmes avec qui nous troquâmes
nos émaux, n'avoient rien de defagréable , & elles
auroient pûpaiTcr tout au plus pour de belles
perfonnes, en comparaifon des Curdes que nous
avions veues vers les fourccs de l'Eiiphrate. Nos
Géorgiennes avoient pourtant un air de fanté qui
faifoit plaiiîr, mais après tout elles n'étoient nifi
belles ni fi bien faites qu'on le dir. Leur teint eft
fouvent parfumé àia vapeur des bouzeS'de vache,
celles qui font dans les villes n'ont rien d'extraordinaire
non plus, ainfi j e crois qu'il m'clî permis
de m'itifcrirc en faux contre les defcriftions que
la plufpart des voyageurs en ont faites. Nous en
fîmes convenir les Capucins de Teflis , qui con'
noilîent mieux le pays que les étrangers , & qui
n'ont jamais pûperfuader à ces femmes de fe defabufcr
du vilain fard dont elles couvrent leur vifage
pour conferver les anciennes coutumes du pays.
O n nous aifûra qu'on enlevoit les plus belles filles
dès l'âge de fix ou fcpt anspourles tranfporterà
Hifpaham , ou en Turquie ; les parens & les meilleurs
amis de la maifon fe mêlent fouvent de ce
commerce. Pour éviter cet inconvenient , on les
marie à 7. ou 8. ans , ou bien on les enferme dan§
des couvents; ainfi les lorgnettes que nous avions
apportées de Paris nous furent tout - à - f a i t inutiles,
^ l'onavoit apparemment enlevé depuis peu
ce qu'il y avoit deplus jolidans lepays. Voici le
portrait d'une Géorgienne qui nous parut aiTe'^
gracieufc. De tout temps , pour ainiî dire , on
a enlevé ce qu'il y avoit debellcs perfonnes dans
le pays. Zonare remarque qu'on yprenoitpar ordre
du Roi les beaux garçons pour les faire Eu--
nuques & les vendre enfuite aux Grecs; mais pour
appaifer les féditions il en coutoit fouvent hi vie -
aux peres.
Ce qu'il y a de plus édifiant fur la frontiere de
Geòrgie , c'eil qu'on ne demande rien aux étrangers.
On peut entrer & fortir quand on veut des
terres du Roi de Pcrfe , fans demander permiffion
à qui que ce foit. Les Marchands de nôtre
Caia-
H'