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n o r r i b l e s , & roulolent k s yeux d'une manière
a f f r e u f e quand j'entrois, & quand je fortois de
T e n c e i n t c où l ' o n por toi t la tîlle du Pacha qui
éto-ic tourmentée d'une cruelle toux.
Riva que j e viens d'appcller une r i v i e r e , n'eft
p o u r t a n t qu'un ruiifeau large à peu près comme
c e l u i des G o b e l i n s , tout bourbeux , & dont l'emb
o u c h û r e peut à peine fervir de retraite à des bat
e a u x ; cependant les anciens enont faitlbnnerle
n o m bien iiaut fous celui de Khebas. Dcnys le
G e o g r a p h e , qui a fait trois vers en f a faveur ,
l ' a p p e l l e une a imabl e riviere; ApolloniusloRhod
i c n au contraire en parle comme d'un torrent
rapide. Il ii'elt pourtant ni aimabl e ni rapide auj
o u r d ' h u i , & fuivant toutes les apparences, il
n ' a jamais é t é ni l 'un ni l'autre. Ses f o u r c e s font
v e r s le IBofphore , du c ô t e de Sultan Solyman
K i o f c , dans un pays alfe?. plat d'où il coul e dans
des prairies marécageufes parmi des rofeaux. Il
n ' e f t pas furprenant que Phinée eût d o n n é une
i d é e li atFreufe de ce ruilfcau aux A rgonaut e s ,
l u i qui regardoit les Ifles Cyanees comme les
é c u e i l s les plus dangereux de ia m e r ; Arricn
c o m p t a II. mi l les h. a50. pas depuis le Temple
d e Jupiter jufqu'à la riviere Rhebas; c'efl-à-dire
depuis le nouveau Château d'Aiie jufqu'à R i -
v a : cet Auteur eft d 'une exaébitude admirable,
& perfonne n'a fi bien que lui c onnu la M e r Noir
e , dont il a décrit toutes les c 6 c e s après les avoir
r e c o n n u e s en qualité de Généra! de l'Empereur
A d r i e n , à qui il en dédi a la defcription fous le
n o m du Periple dn Pont-Euxin.
J e ne fçai pas c omme n t on faifoi t du t ems de
c e t Empereur pour faire débarquer les femmes:
m a i s j e fçai bien qu'à prefenC chez les T u r c s o n
f a i t retirer tout le m o n d e fort brufquement lors
q u ' e l l e s veulent mettre pied à terre ; les matelots
m ê m e s fe cachent après avoir ajuilé des planches
qui leur fervent de paiïage ; & s'il f e t r ouv e
des endroits où les Caïques ne puiiTent pas avanc
e r jufques au f abl e , on enveloppe les Dames,
o u pour mieux dire o n les emba l l e dans cinq o u
fix couvertures, & les m a t e l o t s les chargent fur
l e u r col comme des ballots de marchandifes.
Q u a n d on les a mifes à terre , les efclaves les
debalent , & les e unu q u e s ne ceiTent de crier &
d e menacer, à q u e l q u e difianceque l'on foit d'eux,
f u i l - c e à plus d'un mi l l e . Les valets de pied du
P a c h a fuyoient pour lors dans les bois , & bien
l o i n de fervi r ces D ame s , ils les auroient lailfé
n o y e r plutôt que détourner la t é t e de leur côté.
D e peur que nous n'ignoraffions cette louab
l e coûcume, le Lieutenant du Pacha nous en
înftru'ifit dès la p remier e vilite. Comme vaus vei/
ez. de bien Ioi>j, j^ai à vous avertir , me dit-il,
de certaines chafes ^uil faut abfolument fpavoir
farmi nous. De vous eloigner toujours du ^narîier
desfemr/ies autant que vous le pourrez ; de
pas vous promener fur des hauteurs d'où 'l'on
découvrir leurs tentes ; de ne faire
dans les terres femc'es , c« cherchant des IIT
^ fur tout de ne point donner de vin aux n
P . î f  . i . Nous le ren^erciâmes très - humbLer,,
de les boutez. Pour les D ame s nous n'y .
l i o n s pas certainement , l'amour des plantes in!
o c c u p o i t entièrement. A Pégard du vin lej!
lecs de pied du Pacha vcnoicnt la nuit aVtam
d ' e m p r e i l e m e n t que nous ne pouvions pas qJ
q u e f o i s leur en rcfufer , ce qui fit que u
l ' i n t e n d a n t de leur deiiendre abfolumeiu d'avoir
c o m m e r c e avec nous.
C e t Intendant nous parut fort honnête
m é dans la maifon de f o n Ma î t r e , quoim'ii
• n e fût pas d e f o n c h o i x , car le Grand Vilirpom
v o i r jufques dans le fond de l ' . ime des Pacli/s ï
pour être informé de tout ce qui f e pafled!«
eux , leur donne ordinairement ces fortes d'Ot^
ficiers. Celui dont nous parlons nousaiiûraqu'on
f e retireroit tous les foirs vers le Quindi,quelque
temps qu'il f î t : Q u e l e Pacha prendioitqucl^
j o u r s de repos fur f a route: Qu'on nousdonncr
o i t des gens de ù maifon , quand nous le
h a i t e r i o n s , pour nous accompagner dans nos promenades.
En u n mo t qu' i l favorifL'roit nos rec
h e r c h e s autant qu'il lepourroit. Il nousprefeim
le bras pour lui toucher le poux , & fitapporiet
enfiiite le caiFé & le tabac. Nous lui offrîmes
r é c i p r o q u e m e n t ce qui d ependoi t de nôtre jniiiiftere
; il en fût quitte pour deux faiguécs&pour
u n e purgation pendant toute la route.
N o u s fentimes bien-tôt la différence qu'il y
a v o i t entre la M e r N o i r e & l'Archipel. Quoique
n o u s fuffions au 17. A v r i l , il ne ceflbitpasie
p l e u v o i r , au lieu que dans l'Archipel il ne pleat
g u e r e s paiTé le mois de Mars, Il fallut donc
n o u s ifoler par u n foi f é qui vuidoi t les eauxdont
n ô t r e tente étoit environnée; d'ailleurs lèvent
d u Nor d qui c omme n ç o i t à fouffler n'échnuiTûii
pas nôtre logement , & la pluye contiiiuoit par
g r o i f e s ondées: néanmoins nous ne laiflîoiispss
de courir avec plailîr, tantôt far les côtes,t!i:it
ô t dans les terres , & fur tout le long du ruiff
e a u , qui d e v e n o i t lî marécageux , qu'il filloiti
t o u s momens revenir fur n o s pas , de criime dt
n o u s engager dans des lieux impénétrables iImö^
f u m e s enfin contraints de nous tenir fut les
hauteurs ; mais nous les épui i lme s en cinq ou
fix jours. C'eft alors que le vent du Nord&lä
p l u y e commencèrent à nous chagriner. Oi|ji'
g e a à propos d'entrer plus avant dans U rivicre,
bien loin de f e mettre en me r , & nous funics
é p o u v a n t e z de voi r qu'on ne pen foit qu'à fö«
des provifions. Les gens du Pacha nous o/frirem
f o r t honnûemem de la viande ; mais nous ""
I