
On en comptoit cent dix-neuf à l’époque où je vins au Japon.
Le pouvoir de ces despotes a beaucoup varié. On peut le diviser
en trois époques. Depuis la fondation de leur dynastie jusqu’en
1142 de notre ère, ils exercèrent un pouvoir absolu et sans
bornes , qu’ils partagèrent ensuite avec les gouverneurs ou généralissimes.
En i 583, ce dernier s’empara de toute l’autorité
civile , et ne laissa au Daïri que les affaires ecclésiastiques ;
mais sans rièn diminuer des égards, je dirai même du culte qu’on
lui rend (1)5 car les naturels n’ont pas moins de respect pour
lui que pour leurs dieux. Il sort rarement de son palais, afin
de ne pas exposer sa personne sacrée aux injures de l’a ir , ni
aux rayons du soleil ; mais dans la crainte sur-tout d’être vu par
un homme. Quand il se décide à se promener dans ses jardins,
il se fait porter sur les épaules de ses valets, de manière que
ses pieds ne- touchent pas la terre. On fait un signal pour avertir
» dans des assiettes de porcelaine ; c’est
« lui seul qui , dans tout le Japon , dis-
» tribue les titres honorifiques, dont
» les naturels sont si curieux , et qu’on
»> reconnoît par les caractères avec les-
» quels ils signent leurs écrits, et qu’ils
» changent en montant en dignité. Tous
» les Grands du royaume ont des en-
» voyés auprès dû Vo , et n’épargnent
:» pas les présens pour obtenir ses
» bonnes grâces ; de manière que sans
» revenu fixe il est prodigieusement
» riche. Trois causes peuvent le dégra-
» der : i° . s’il touche la terre du pied ,
» comme nous l’avons déjà dit; 2°. s’il
» commet un meurtre ; 3°. s’il a de l’a-
» version pour la paresse et l’oisiveté.
» Cependant on ne le punit jamais de
» mort. — L e chef de la justice , nom-
» mé Quingue, dont l ’autorité est par-
» tagée entre deux ministres,. nommés
l’un Enge , l’autre Coxou } juge tous
» les différends, décide les guerres qui
» lui paroissent justes , punit les fac-
» tieux, &c. » Voyez Rerum à socie-
tate Jesu in orient, gestar. usque ad ann.
4 568 , p. 162 et sequent. ( Note du Rédacteur.
)
(1) On me dispensera de répéter,
pour l’éclaircissement du texte de notre
auteur, les détails qui se trouvent
dans les Histoires du Japon, de Koemp-
fer et de Charlevoix : ces ouvrages sont
entre les mains de toutle monde. Rédacteur.
les étrangers de se retirer; car personne.ne doit l’approcher.
On fit un de ces signaux pendant notre séjour à Miaco.. Ce vice-
dieu imbécille naît, vit, ou plutôt végète et meurt dans l’intérieur
de son palais, d’où il ne sort pas une seule fois dans sa vie.
Ses cheveux, sa barbe et ses ongles sont des objets sacrés', que
l’on n’ose nettoyer ni tailler pendant le jour. On saisit le moment
de son sommeil pour faire sa toilette pendant la- nuit et à la
dérobée.. Sa sainteté ne mange jamais deux fois dans la même
assiette, et l’on casse tous les vases dont elle s’est servi, de
peur qu’ils ne tombent entre des mains impures. Cette étrange
manière de laver sa vaisselle , oblige de n’employer sur sa table
que de la, porcelaine très-commune. Il ne porte pas non plus
deux fois, le même habit ; mais on les donne aux gens de sa
maison. Il n’y a guère que les habitués de sa cour qui sachent
son nom de son vivant, et on ne le publie que long-tems après
sa mort. Sa cour est composée , en grande partie , de ses parens
qui ont des- dignités, ou obtiennent des bénéfices et des
abbayes. Il a douze femmes, parmi lesquelles se trouve une
impératrice. L’intérieur du palais offre un luxe éblouissant,
mais qui n’est pas encore comparable à celui qu’il étaloit avant
de perdre son autorité civile. Ses finances sont réduites aujourd’hui
au produit de la ville de Miaco et de son territoire
et de quelques droits sur le trésor du Coubo , sans oublier
cependant les sommes qu’on lui paye pour les titres qu’il distribue.
Ce droit lui appartient encore , et forme la plus riche
partie de son revenu , qui n’est pas toujours suffisant pour les
dépenses de sa cour.
Le Coubo et le prince héréditaire reçoivent de lui leurs titres
honorifiques , et en obtiennent pour les principaux officiers de
leur cour.
Les ecclésiastiques en dignités, se distinguent à la cour et
dans les temples par un habit qui indique leur rang. Je rencontrai
auprès d’un couvent situé dans les environs de Nagasaki, un de