
8o 1776. J O U R N A L DE L ’AM B A S S A D E
nous considérer tout à leur aise à travers un rideau très-clair,
sans être vues, excepté dans un hôtel où, non-seulement on
leva le rideaiu, mais on nous invita même à avancer au
milieu de la salle. Deux officiers de la maison étoient chargés de
nous recevoir en l ’absence du maîtr.ë, et l’on ne manquoit
pas de nous offrir une tasse de thé verd chaud, du tabac à
fumer, et de la pâtisserie sur de petites tables. Nous bûmes
quelques tasses de th é, mais nous ne touchâmes pas au tabac,
■ et nos interprètes firent porter les pâtisseries à notre auberge,
où nous arrivâmes à -la fin du jour épuisés de besoin et de
lassitude. Au reste, je ne crois pas avoir acheté trop cher
le spectacle varié que nous eûmes -dans ces différentes visites,
et sur-tout l’admirable perspective dont nous jouîmes
dans cette portion élevée de la ville , d’où î ’on découvre la
plaine et son immense étendue : les Japonois évaluent son
circuit vingt-un milles ou vingt-une heures de marche.
Le lendemain ig mai, nous nous présentâmes chez les officiers
du temple, que nous pourrions nommer templiers, chez
les deux commissaires de la ville , et chez les deux commissaires
des étrangers.
Le -1, nous -eûmes notre -audience de congé inpromptuj
l’empereur et le prince héréditaire nous reçurent nu milieu
du conseil assemblé. Les deux ‘jours suivans furent employés
à recevoir tes présens des seigneurs -de la cour. L’empereur
e t le prince héréditaire nous avoient remis les leurs à l’audience
; mais ceux des Grands furent envoyés -à notre ‘hôtel.
-Us consistoieirt en robes de soie du Japon, d’une étoffe très-
:fine à fleurs sur un fond noir, avec de grandes manches ouatées
en soie et en ‘coton. Chaque -sénateur ordinaire en donne dix
a la Compagnie, -chaque sénateur extraordinaire cinq, chaque
templier cinq-, chaque gouverneur autant, le gouverneur et le
•commissaire ‘de Nagasaki deux seulement. Notre banjos en
‘reçut deux, le secrétaire et moi deux , l’ambassadeur en garda
quatre
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DE DA COM PAGN IE H O L LAN D OISE. 81
quatre pour lui : les autres furent empaquetées, et on en fit
un nombre de ballots proportionné aux bureaux de la Compagnie
, pour les expédier en Europe par la voie de Batavia.
Parmi les nombreuses visites que nous reçûmes à notre
auberge, j’ai oublié de parler d’une femme chassée par son
mari, qui vint demander l’aumône à l’ambassadeur. Elle s’é-
toit fait couper les cheveux, et alloit ainsi par-tout la tête nue
et rasée. On nous dit que c’étoit un usage reçu parmi les
femmes répudiées, n’importe pour quelle raison.
La ville d’Iédo est immense (1), et sa population répond
à son étendue. Outre ses nombreux habilans, une multitude
d’étrangers y abonde de tous les coins du royaume. Les maisons
ont au plus deux étages; chaque famille a la sienne qui suffit
pour plusieurs ménages. L e . devant est occupé par des atte-
liers ou des boutiques, où l’on tend dès espèces dé bannes pour
empêcher les passans de regarder et de distraire les ouvriers.
Les marchands ne manquent pas d’étaler sur le devant de
leurs boutiques des échantillons de leurs marchandises. Les
principales rues , celles au moins par où nous passâmes,
étoient fort larges et fort longues, Çette ville a deux gouver-
( 1') Iéd o , qu’on prononce aussi
Ynedo , est situé au 35e degré 32 min.
de latitude nord, dans une plaine au.
fond d’une baie poissonneuse. Il est à
remarquer que les Jésuites se sont insinués
et même installés dans les principales
villes du Japon ,. telles que Nagasaki
, Arima , Facata , Cocoura, Na-
gatsou , Osakka , Sakaï , Fococou ,
Miaco , &c. &c, mais jamais à Iédo.
Us étoient parvenus à y former plus de
cinquante maisons de leur ordre ; les
Franciscains en eurent trois à Nagasaki,
Osakka et Fouchimi ; les Dominicains
Tome I I .
trois à Nagasaki, Fougetzou, Figen ;
les Augustins trois à Nagasaki et à Ou.-
souqui, au royaume de Boungo. Les
Japonois ont fini par expulser tous ces
moines, aussi intrigans que fanatiques ,
et ils sont encore maîtres chez eux
malgré les tentatives et les manoeuvres
des convertisseurs et des marchands européens.
On peut consulter, sur les
progrès des Jésuites au.Japon , la Nouvelle
Histoire du Japon, où il est traité
de la chrétienté, &c. par Pigneyra „
passim. ( Note du Rédact. )
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