
roient comme un homme également féroce et inepte , car il
n’avoit pas même les cônnoissances nécessaires ponr le poste
qui lui étoit confié.
Le 16 , nous .découvrîmes les côtes de la Grande-Bretagne,
vers le Cap Lézard; nous passâmes un jour et une nuit dans ces
parages, à ne faire que des bordées. Nous reconnûmes bientôt
des vaisseaux de guerre hollandois qui venoient pour escorter
les bâtimens marchands qui reviennent des Indes richement
chargés. Notre flottille les signala par quatre coups de canon,
en hissant et baissant le pavillon. Lorsque les navires furent a
peu de distance les uns des autres , un lieutenant et un écrivain
du Vaisseau de. guerre visitèrent le bâtiment marchand très-
soigneusement, pour s'assurer s’il ne contenoit pas de marchandises
prohibées.
Le 18 , les trois capitaines de notre convoi se rendirent au vaisseau
de guerre pour l’ouverture d’une lettre apportée par YOver-
duyn , qui revenoit de la Chine. Cette lettre nous apprit que les
cargaisons étoient destinées pour Amsterdam.
Depuis quatre mois que notre chef Koelbier , qui mont’oit le
Canaar , s’étoit séparé de nous , nous n’en avions eu aucune
nouvelle ; on nous apprit qu’il étoit arrivé depuis deux jours.
Nous continuâmes notre route avec le vaisseau de guerre
chargé de nous escorter jusqu’au Texel.
Le 28, nous nous engageâmes dans la Manche ; un vent favorable
nous faisoit voguer à pleines voiles , et nous avions déjà
doublé Douvres et Calais, lorsque, sur les dix heures du soir,
il s’éleva une tempête horrible , qui déchira nos voiles, brisa le
haut de nos mâts, et nous poussoit vers la terre. Le vaisseau
étoit si violemment agité, qu’on ne pouvoit tenir pied sur le
tillac et nous approchions si près des écueils, que pas un seul
d’entre nous ne se flattoit d’éviter le naufrage. Nos matelots
même n’avoient plus le courage ni la force de faire quelque
tentative pour sauver le vaisseau ; plusieurs tombèrent de foim
m
blesse. Cette débilité étoit l’effet trop naturel de la mauvaise
nourriture qu’on leur avoit distribuée pendant la traversée. Le
capitaine et le pilote ne comptant pas que cette traversée dut
être aussi longue qu’elle le fut, avoient vendu à leur profit une
grande partie de la viande, du lard, et des autres provisions
destinées à nourrir l’équipage ; les pauvres matelots furent les
premières victimes de cette coupable avarice : ils ne mangèrent,
pendant long-tems, qu,e du riz , des fruits , des légumes, et
autres alimens très-peu substantiels ; il n’est donc pas étonnant
qu’ils aient manqué de courage et de force dans un moment
aussi critique que celui où nous nous trouvions. Au reste, la conduite
du capitaine et du pilote ne resta pas impunie. Dès qu’ils
furent arrivés à terre on leur intenta un. procès criminel ; ils furent
dégradés , et déclarés incapables d’être jamais employés au service
de la Compagnie.
Le lendemain à la pointe du jour, nous reconnûmes que le
Vent et les vagues nous avoient fait considérablement dériver :
nous étions à la hauteur d’Ostende , au milieu des bancs de
sable», et très-éloignés de nos compagnons. Les matelots revenus
de leur extrême affoiblissement, reprirent courage et travaillèrent
à nous dégager des bancs et à nous tirer de cette périlleuse
situation : ils furent bien secondés par un vent favorable , qui
s’éleva dans la matinée. Parmi plusieurs pertes que me causa
cette misérable tempête, la plus sensible pour moi fut la mort de
plus de cent jeunes plants d’arbres-à-pain des deux espèces, et
autres végétaux très-rares, qui furent culbutés et détruits.
Le 29, nous arrivâmes à l’ embouchure du Texel.
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