
C H A P I T R E XXI I I .
E t a t de l ’agriculture au Japon. — Productions végétales de
ces îles. — Usages et propriétés de ces productions.
J e me plais à payer aux Japonois le tribut d’éloges que me
paroît mériter leur goût actif pour l’agriculture , car ils ne
se bornent pas à de simples spéculations èt à" prodiguer des
récompensés' flatteuses pour l’amour - propre , mais' souvent
inutiles à l’art f ils font mieux que .tout cela, ils labourent,
et l’on ne trouveroit pas dans leur pays un seul coin de terre
inculte ; ils ont le talent de mettre en valeur jusqu’au sommet
aride dès montagnes! Malgré l’excessive redevance qu’ils paient
en nature , ils sont encore moins chargés que la plupart de nos
cultivateurs d’Europe , qui ont leurs terres en propre. On n’oblige
point ceux-là à fournir des chevaux à la posté pendant
plusieurs jours pour une somme bien moindre que les dépenses;
on ne lés arrache point de la charrue pour conduire un déserteur
ou un prisonnier à un château voisin. Ils ne font pas non plus de
corvée pour les constructions de grands chemins , d’hôpitaux ,
de ponts , de presbytères , ni de magasins ( 1 ) ; ils ne passent pas
une partie de l’hiver à charrier des échalas^ des branches pour
faire , dès les premiers jours du printems , des haies longues et
épaisses , qui nuisent tant aux plantations- en Suède. Us ne
connoissent, en “outre , d’autre maître que le prince de la
province , et ne sont pas tourmentés par des employés inférieurs,
qui , sous prétexté de percevoir la taille, la dîme , &c. exercent
contre eux mille vexations décourageantes. On ne voit pas non 1
(1) I l est inutile de prévenir le lecteur .que M. Th.unb.erg parle des abus qui
subsistent dans son pays. Rédacteur.
plus chez eux de terres incultes , connues sous le nom de
communes, et qui , pour appartenir à tous, ne sont utiles à
personne. Tout cultivateur qui néglige de labourer une portion
de ses terres est déchu de sa propriété ; onia donne a un autre.
Sa femme et ses enfans partagent ses travaux. Toutes leurs
terres sont labourées et ensemencées ; ils ne consacrent pas ,
comme nous , des prairies à la nourriture des bestiaux, des
chevaux, &c. Ils ont peu de plantations de tabac, et n’emploient
pas le bled à des usages de luxe (1), de manière que le pays,
quoique très - peuplé , fournit une nourriture abondante à ses
habitans.
Les bestiaux restent toute l’année à l’étable, et fournissent
conséquemment beaucoup de. fumier. Les vieillards et lès enfans
sont toujours occupés sur les grandes routes à ramasser les
crottes des chevaux avec une coquille qu’on nomme l’oréille de
mer (2). Les urines, dont les Européens ne tirent aucun parti
pour l’engrais des terres, sont ici très- recherchées ; on les
recueille avec soin dans des vases enterres au niveau du sol,
dans les villages et sur le bord des -chemins. Cette attention a
ramasser toutes-les espèces d’engrais nous paroîtra surprenante;
leur manière de l’employer n’est pas moins extraordinaire : ils
ne transportent pas leur fumier sur les jachères en hiver ou en
ét,é ; persuadés qu’il doit perdre de sa force par l’évaporation /
ils .emploient un procédé , à la vérité bien dégoûtant, et dont
la description seule soulève le coeur. Us délaient les excrémens
des hommes et des animaux et autres immondices avec de
l’urine ou de t’èau, et portent aux champs cette bouillie dans
deux seaux; ils en versent une cuillerée sur chaque plante
lorsqu’ elle a un quart d’aune de haut. La partie huileuse s’est
bientôt précipitée au pied, et rien n’est perdu. 1 2
(1) La farine nous poudre} et le son nous nourrit.
(2) Haliotis tuberculata.