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commissent bien, et les Hollaîidois la nomment feuille de buffle.
J’attribue cette dénomination à un usage atroce qui subsiste
aussi parmi plusieurs nations policées de l’Europe. Dans les fetes
publiques, les princes Javans donnent différens spectacles au
peuple, et les combats des bêtes féroces n’y sont pas oubliés.
Je vis mettre aux prises un tigre avec un buffle. Quand ce dernier
hésite .à attaquer son adversaire, on le fouette avec ces feuilles
qui lui font des ampoules cruelles : il ne tarde pas a entrer
en furie» '
Le 27, nous revînmes à Salatiga.
Le 28 , l’enseigne nous, conduisit àTimdang, village Javan,
où nous résolûmes de passer la nuit. Les maisons bâties en cannes
de bambou, entre lesquelles l’air peut circuler, sont très-petites
et ressemblent à des cabinets de verdure : nous n’incommodâmes
personne ; on nous construisit une cabane particulière avec une
célérité digne du beau tems de la féerie. Plusieurs Javans partagèrent
entre eux la besogne; les uns coupoient des bambous
de différentes grosseurs, d’autres y faisoient des entailles, et
d’autres enfin ajustoient des bâtons plus minces dans ces entailles;
ensuite ils entrelacèrent dans cette charpente de petites
branches garnies de leurs feuilles. D’un autre côté on façonnoit
nos tables et nos chaises. Un citadin auroit pu se plaindre de
leur inégalité et de leur grossièreté ; mais des voyageurs fatigués
les trouvoient encore très-commodes. A peine avions-nous débarrassé
nos chevaux de leurs selles et-de nos bagages, que
nos cabanes étoient prêtes pour nous recevoir.
Comme l’ après-midi n’étoit pas encore avancée , je profitai du
reste du jour pour rassembler quelques plantes dans les forets
voisines. Les ignhames ( 1 ) , tantôt cultivées e t tantôt sauvages ,
s’élancoient et grimpoient jusqu’ au sommet des arbres.
Le soir, nous fîmes allumer d.u feu auprès de notre cabane
(1) D io s c o r e u . pour
A B A T A V I A . 3 ficp
pour nous éclairer; nous nous assîmes a l’entour , mes compa
gnons »avec leur pipe, et moi avec mes plantes ; nous fumes
bientôt entourés par des habitans du v i lla g e , parmi lesquels se
trouvoient des danseurs, des danseuses et des musiciens. Ceux-
ci se mirent à danser et à jouer de différens instrumens à vent
et à cordes. Il n’y avoit ordinairement que deux danseurs qui
figurassent à la fois. Tout particulier qui vouloit danser , étoit
obligé de donner une petite rétribution a sa danseuse ou aux
musiciens ; nous distribuâmes quelques pièces de monnoie à nos
esclaves, pour qu’ils pussent prendre part au divertissement.
Ce petit bal n’étoit pas sans agrément, mais les moucherons
qui nous tourmentoient y firent une pénible diversion; ils nous
• empêchèrent même de sommeiller pendant le reste de la nuit.
Nos bas de laine et nos. bottes ne garantissoient pas nos-jambes;
la fumée du feu et celle du tabac ne fut pas un meilleur préservatif
pour nos visages. Enfin , vers une heure du matin je.
me déterminai a me coucher sur une botte d’herbe , la tête enveloppée
dans’.dés mouchoirs , de manière que jfe.bravai les
morsures de ces insectes dont je n’entendis plus que le bourdonnement.
Ce concert, digne de succéder au bal dont on venoit
de me régaler, m’empêcha de clorre l’oeil. Lê lendemain nous-,
poursuivîmes notre route , ‘ et arrivâmes le premier mai à Sa-
marang. „
Je ne manquai pas d’aller chez lé gouverneur pour lui rendre:
compte de mes découvertes ; je lui indiquai plusieurs plantes
. dont on pouvoit se servir dans certaines, maladies ; savoir, la
fumeterre officinale (1) que les Javans nomment rumpung ; elle
croît dans les terrains montagneux : j’en trouvai très-peu auprès
de Kopping.
Entre ce dernier endroit et Salatiga, sur le penchant des
(1) Fumaria officinalis.
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