
Les Japonois n’ont nulle idée de l’anatomie ni de la circulation
du sang. Pour tâter le pouls ils prennent successivement
les deux mains du malade, ne sachant pas que les battemens
sont égaux, puisque tout le sang part du coeur. Cette ceremonie
seule dure un quart-d’heure. Les médecins se hasardent
quelquefois à saigner, mais très-rarement et toujours en tremblant.
Je tâcbois de les enhardir et de les familiariser avec
cette opération, qui est aussi simple que salutaire dans une
foule de circonstances ; enfin je me défis de mes lancettes a
ressort et de quelques autres instrumens de chirurgie , en
faveur de mes deux élèves favoris qui étoient en état dé s en
servir.
Mes disciples me demandèrent de leur donner, avant mon
départ, un certificat de leur exactitude a suivre mes leçons,
et des progrès qu’ils avoient faits. Je me prêtai d’autant plus
volontiers à leurs 'désirs , qu’il ne 's’agissoit que d attester la
vérité, et de leur laisser une marque de ma reconnoissance
et de mon amitié. Je leur délivrai donc ce certificat écrit en
hollandois. Leur jo ie , en recevant ce précieux diplôme, ne
peut mieux se comparer qu’à celle qui brille sur le front de
nos jeunes médecins qui viennent de recevoir le bonnet ou
les lettres de docteur ; et je n’étois pas moins satisfait qu’ eux-
mêmes d’avoir été utile à des hommes qui , pendant mon
séjour, et même après mon départ, n’ont cessé de me donner
des preuves de la plus sincère amitié, que l’éloignement
même n’a pas refroidie ; car plusieurs années après mon retour
en Europe, j’ai entretenu une correspondance suivie avec eux,
et plusieurs interprètes japonois de mes, amis. Je leur ai
envoyé quelques présens que je savois devoir leur être agréables
et j’ai reçu en échange des graines précieuses pour le
jardin botanique d’Upsal, et différens morceaux d’histoire naturelle
pour la collection de l’académie.
Notre départ fut irrévocablement fixé au i 5 mai, parce que
F empereur civil (1) devoit se rendre le 3o du meme mois (2)
au fameux temple de Niko (3) , à trente- six milles est tFIédo ,
où Fon devoit célébrer une grande fête. Ce voyage, que Ion
remettoit d’année en année depuis trois ans, avoit exigé les
plus grands préparatifs.
Comme il n’y a nulle différence pour le costume entre les
deux souverain^, les grands et les simples particuliers, ils
n’ont d’autre moyen de se faire distinguer dans les fetes et
dans les' cérémonies, que par une suite nombreuse. Cette
multitude d’officiers et de valets de. tous les étages , exige des
préparatifs immenses , quand leur maître entreprend seulement
de découcher. Il fallut, pour le voyage de l’empereur , construire
des maisons sur la route , et envoyer en avant des
provisions de toute espèce : les officiers dévoient être logés
à la proximité de leurs maîtres, suivant l’importance de leurs
fonctions, pour pouvoir se rendre exactement à leur poste.
En l’absence du souverain , le-palais , ou plutôt la citadelle,
devoit être confiée à la garde du prince de Mito , du gouverneur
d’Iédo et de quelques sénateurs. Les ordres les plus
précis avoient déjà été expedies dans tout le pays pour surveiller
les incendies., empêcher les émeutes, et prévenir tous les
accidens capables de troubler la marche. On distribua entre
les sénateurs, les princes du pays et les gens de- la suite de
l’empereur, une somme de deux cent quatre-vingt mille kobangs,
ou eent soixante mille rixdalles. Cet immense cortege , qui
devoit mettre trois jours pour se rendre au temple de Niko ,
se reposa le quatrième.: La fête étoit fixée au 17 siguats (4) , et
(1) Le koubo,
, (2) Le i 3 siguats.
(3) Ou Nitquo , Tune dés plus hautes
montagnes du Japon , située dans la
province de Couzouqui, à trois j Ourraées
d’Iédo ; elle est célèbre par un
temple qui attire un grand nombre de
pèlerins. Note du Rédacteur.
(4) 3 juillet 1776.