
prêts de très-grand matin; nous avions pris nos plus beaux habits
de soie et d’argent ou galonnés d’or; le cérémonial exigeoit
que nous eussions nds épées, et un ample manteau de soie
semblable à celui des prêtres , attaché derrière le dos. Après
avoir bien déjeuné nous nous fîmes porter au palais impérial
dans des norimons. Nos présens étoient déjà envoyés à
l’empereur, au prince héréditaire , aux sénateurs et aux personnes
en place. On les avoit rangés dans les chambres par ou
nous devions passer.
Cette promenade me procura l’occasion de voir la manière
dont un Grand se fait porter dans son norimon ; lês bâtons ne
posent pas sur les épaules des porteurs, mais ils les tiennent
à la main et le plus haut qu’ils peuvent , en Courant de toutes
leurs forces et levant les talons très-haut. Ces norimons passent
avec la rapidité d’une flèche. On séflt qu’il n’y auroit
pas moyen de faire beaucoup de chemin de cette manière;
aussi les Grands ne l’adoptent-ils que dans les villes et aux
fêtes publiques.
Nos porteurs firent un long trajet dans la ville avant d’arriver
dans le quartier où l’empereur fait sa résidence. C’est une espèce
de ville environnée de remparts et de fossés pleins d’eau,
sur lesquels s’abattent des ponts-levis. Elle a cinq milles de
circonférence ; outre le palais de l’empereur, on y voit celui
du prince héréditaire, qui en est séparé par de larges fossés
remplis d’eàu , par des murailles en pierres avec des portes,
et différentes fortifications. La citadelle intérieure, qui est la
plus grande, a de belles rues bien larges , et de superbes
maisons qui appartiennent aux princes du pays, aux sénateurs
et à tous les agens de l’empereur : leur famille que l’on garde
en otage, les occupe toute l’année.
Outre le corps-de-garde de la première porte , il y en a un
à la secondé -, composé journellement dé mille hommes. C’ès't-
là que nous descendîmes de nos norimons, et l’on nous con-
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duisit dans une chambre où nous attendîmes une heure entière
la permission d’entrer .dans l’intérieur du palais. On nous fit
avancer à la fin entre deux haies de soldats bien habillés et
bien armés, qui bordoient le chemin jusqu’à la porte même du
palais.
Cet édifice est construit sur une hauteur, et quoiqu’il n’ait
qu’un étage , il est plus élevé que les autres maisons , et occupe
un terrain considérable. Il nous fallut attendre encore une grande
heure dans une espèce d’antichambre. Nos officiers japonois
s’assirent sur leurs talons, à la mode du pays ; le défaut d’habitude
(1) nous rendoit cette posture incommode et même
insupportable ; nous alongeâmes nos jambes , et nos vastes
manteaux nous servirent à les couvrir. Cette draperie eut dans
ce moment un genre d’utilité auquel nous n’avions jamais
songé. Au reste, la multitude de curieux qui venoient nous
examiner et nous questionner, ne nous laissa pas le tems de
nous ennuyer, et jamais heure ne me parut plus courte. Parmi
ces curieux se glissèrent plusieurs princes, mais toujours incognito;
leur dignité eût été sans doute compromise s’ils eussent
■ paru aussi avides d’instructions que le commun des hommes ;
et dans les pays même les plus éloignés , le désir de s’instruire
semble une dérogeances,la grandeur. Cepandantil étoit toujours
bien aisé de les reconnoître , par le .bruit sourd qui les pré-
cédoit, et par le silence qui régnoit ensuite dans, les appartenions
intérieurs. Leur curiosité nous donna beaucoup d’ocf
i ) Notre auteur auroit pu ajouter
l’incommodité des vètemens; car rien
de plus incommode que les ligatures
placées au-dessus et au-dessous de la
rotule du genou, l ’une pour les bas,
l’autre pour les culottes, deux portions
de notre costume qui me paraissent
aussi ridicules que gênantes, mais qui
caractérisent assez bien le siècle où on
les a substituées à un vêtement élégant
et commode , qui ne pouvait manquer
de reprendre laveur sous un régime
qui exige le développement de toutes
les forces morales et physiques. Noie
du Rédacteur.