
C H A P I T R E VI L
O b s e r v a t i o n s de VAuteur à Desima et à Nagasaki.
Opérations des Hollandais. Du 15 août î f j S , au i mars
1776.
A l on premier soin, en débarquant, fut de me lier avec quelques
interprètes-, et de me concilier l’amitié des officiers qui fré
quentoient notre petite île. Mes connoissances en médecine
* me donnèrent plus d’une fois l’occasion de leur être utile , ainsi
qu’à leurs parens et leurs amis malades. En outre, mes manières
franches et ouvertes m’attiroient.leur confiance. Je n’ étois pas
fait pour inspirer de grandes inquiétudes aux inspecteurs du
commerce, qui voyoient très-bien que toute mon attention -e
dirigeoit vers la médecine et la botanique.-Je fus même assez
heureux pour découvrir dans les plantes sauvages de leur pays
des vertus très-utiles, et je me prévalus de ees découvertes pour
obtenir une permission qui ne s’accorde jamais à aucun Européen,
c’ est-à-dire, de parcourir les environs de la ville de Nagasaki
pour y ramasser des simples et des graines. Je réussis
d’abord dans mes démarches au-delà de mes espérances ; mais le
gouverneur ne tarda pas à révoquer cette permission, par un
motif bien plaisant, qui prouve combien nous inspirons ici de
méfiance et de crainte. Quand je demandai la permission de
botaniser dans la campagne , le gouverneur , craignant d introduire
quelqu’innovation, chercha dans les journaux japonois
si l’on avoit accordé déjà une pareille permission à un chirurgien
européen. Il trouva qu’à une époque assez reculéç, pendant une
épidémie très-meurtrière , les. remèdes venant à manquer ,
un chirurgien hollapdois ayoit eu la permission d’en aller chercher
aux environs de Nagasaki. Tous ses scrupules étoient
donc levés. Cependant il examina encore l’ affaire de plus près,
et
et découvrit que ce Hollandois n’étoit que chirurgien en second j
et comme on savoit que j’étois premier chirurgien, on en
conclut que je ne pouvois jouir du même avantage. Une pareille
circonstance est souvent d’une grande importance auxyeux des
Japonois, qui sont d’une ponctualité inconcevable. Ils se piquent
d’exécuter strictement les volontés de leur souverain , sans se
mêler de les interpréter ou les faire plier aux circonstances.
Quant à moi, je ne fus pas, à beaucoup près, insensible au
contre-ordre -qui me fut signifié. Mais loin de me décourager, je
devins plus pressant que jamais : je tâchai de persuader aux
officiers supérieurs , qu’il n’y avoit presque aucune ' différence
entre un chirurgien-major et un chirurgien en second, puisque
le premier a dû passer parles grades inférieurs, et que l’autre a
droit d’aspirer à-cette place. Des observations aussi judicieuses
levèrent tous les scrupules du gouverneur, qui me rendit la
permission précédemment accordée, mais si tard, que je ne
pus en profiter qu’au mois de février. J’avois, à mon grand
regret, passé tout l’automne à postuler cette misérable révocation.
Heureusement que plusieurs interprètes s’étoient rendus
mes «lèves en médecine et en chirurgie. Ils traitoient même
des malades en ville sous ma direction, et je leur demandois,
pour prix de*-mes leçons journalières , toutes les plantes , fleurs
et graines qu’ils pourroient rassembler sur les collines du voisinage.
Je recueillis, dans leur conversation, d’excellons rensei-
gnemens sur le gouvernement du Japon et sur les moeurs des
habitans. Ils me procurèrent aussi des livres et une foule d’objets
curieux pour les sciences et Tes arts.
Le i 5 août, on commença par débarquer les bestiaux, tels
que boeufs,, veaux, cochons,, chèvres, moutons et cerfs que
l’on .envoie chaque année de Batavia. Car les Européens ne
pouvant se procurer ici aucune espèce de viande fraîche, il
faut en apporter pour la consommation de la factorerie et pour
Tome TI. jj