
38-2
couvertes de buissons et de bois , nous mîmes pied à terre
pour gravir plus haut, et examiner de plus près la caverne la
plus fameuse, située auprès du Méhémédon. Je me crus transporté
dans les contrées septentrionales de l’Europe, tant pour
la température de l’air que pour les productions végétales. Je
reconnus avec une certaine émotion nos mousses et nos lichens
(1), si rares et presque inconnues sous le brûlant climat
de l’Inde.
Nous passâmes la nuit a Poudegoude; le lendemain nous partîmes
pour Arkidomas , où nous voulions visiter plusieurs petites
statues de pierres dispersées dans différens endroits de la forêt,
par giouppe de trois ou quatre figuras. Les Javans ainsi que les
Chinois ont la plus profonde vénération pour ces idoles , et
ne manquent pas de leur offrir de fréquens sacrifices. Nous rencontrâmes
sur notre route des paons sauvages, que nous élevons
avec tant de soin en Europe, Ils voloient et se reposoient ensuite
sur les arbres de la forêt pour étaler leur belle queue pendante*
J en tuai un avec mon fusil ; nous le fîmes rôtir pour notre souper
, mais la chair en etoit sèche et mauvaise.
Le commandant d’un petit fort, qui nous accompagnoit, avoit
amené avec lui deux soldats : ils ne cessoient de donner du cor
pour écarter les tigres , qui sont ici fort dangereux. On prétend
qu’il leur arrive de dévorer des Javans lorsqu’ils en rencontrent
sur la route. Le bruit des cors, de la trompette ou de tout autre
instrument à vent, les épouvante ou leur'est insupportable par
son éclat*
Le soir nous arrivâmes à Buyten-Zorg, nommé Bogor par
les Javans; mais avant de nous y rendre , nous fîmes un petit
détour pour examiner une pierre antique placée auprès de Pa-
detuulis. Cette pierre, qui est de la hauteur d’un homme et
large d’une aune suédoise, porte fine inscription que personne
(1) Lichen.
jusqu’à présent n’a pu déchiffrer : j’ai compté huit lignes et
demie, qui m’ont paru aller de gauche à droite.
Le 26, nous nous écartâmes encore de la route pour faire une
promenade vers "la montagne Tcheraton , remarquable à plusieurs
égards : elle est située au milieu d une vaste campagne, et
isolée de tous les côtés. Notre but principal étoit de voir plusieurs
trous ou excavations assez curieuses, pratiques dans cette montagne,
et dans lesquels les hirondelles (1) viennent construire
leurs nids : ces nids sont glutineux , et l’on peut s’en nourrir.
Nous mîmes peu de tems à gravir au sommet de cette montagne,
et nous trouvâmes ces excavations sur la croupe méridionale.
On ne peut les attribuer à des convulsions de la nature, car je
■ n’ ai pas trouvé une seule fente sur tout ce rocher ; elles ne peuvent
donc avoir été produites que par l’action de 1 air et par
l ’eau , car il y en avoit encore au fond de plusieurs de ces trous.
Je descendis à une certaine profondeur avec une échelle de
bambou. Leur intérieur me parut distribué en plusieurs appar-
temens ; mais l’obscurité qui augmentoit encore le danger de
la descente, né me permit pas de pénétrer plus avant. Les Javans
ne voulurent pas absolument nous permettre de détacher quelques
uns des nids d’hirondelles qui tapissoient ces antres. Mais
pour ne pas trop nous contrarier, ils en cherchèrent d autres
très-bien conservés qu’ils nous apportèrent : ils y joignirent même
deux hirondelles de l’espèce de celles qui habitoient ces trous;
elles étoient petites et toutes noires.
Mon compagnon de voyage et moi nous dînâmes ce jour-là
chez le gouverneur javan du canton. 11 nous donna un magnifique
repas , auquel il n’admit qu’un de ses plus proches parens.
On servit à chaque convive sa portion sur une petite assiette
de porcelaine; ces portions n’étoient pas copieuèes , mais en
(1) Hirundo esculenta. La salangane. Buff. Hist. nat. des ois. vol. VI, p. 682*