
36a 1777. S É J O U R DE L ' A U T E U R
dans les chaloupes qui nous transportèrent sur le rivage. Je n’eus-
pas plutôt mis pied à terre ,que jeme rendis chez mon respectable
ami le docteur Hoffman , qui ne voulut point que j’eusse d’autre
maison que la sienne pendant mon séjour à Batavia.
M. Hoffman avoit perdu sa femme pendant mon absence, et
ce ne fut pas la seule personne de mes connoîssances que j’eus à
regretter en arrivant ici. J’observai que de treize personnes avec
lesquelles j’avois dîné peu de jours avant mon départ pour le
Japon, il ne restoit que le docteur et moi ; les onze autres étoient
morts des fièvres, qui, pendant les trois semaines qu’elles régnent
chaque année , font des ravages épouvantables : une pareille
épidémie périodique suffit pour démontrer l’insalubrité de cette
ville , dont l’atmosphère prodigieusement chaud est rempli de
vapeurs qui affoiblissent les organes et produisent le scorbut.
J’avois aussi perdu un puissant patron dans la personne du
gouverneur Van-der-Parra, mort l’année précédente. Il rendit
de grands services à la Compagnie hollandoise des Indes orientales,
sans négliger cependant le soin de sa fortune pendant la
longue durée de son administration ; car il laissa plus de quatre
millions' de florins à son fils unique. Van-Riemsdyk lui succéda
dans le gouvernement général des Indes orientales. C’étoit un
vieillard bien afîbibli par les années , et qui n’avoit de talent que
pour amasser de l’argent. Lorsque j’allai présenter mes respects
à sa noblesse, car c’est le titre qu’on lui donne, il me fit la grâce
de me consulter sur un cancer que madame la gouvernante
avoit au sein ; je le jugeai incurable. Après avoir fait une
visite à mon illustre ami le savant conseiller Radermacher , je
songeai à visiter les effets que j’avois laissés à la garde de mon
hôte. Us étoient enfermés dans une grande caisse, et placés au
milieu d’un vaste magasin, sur des bouteilles à une certaine
distance du plancher. En l’ouvrant j’eus la douleur de trouver
la plus grande partie de ma collection d’herbes rassemblées à
Java avant mon départ pour le Japon, et mes livres, moisis et
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pourris par l ’humidité de l’air. Il plut encore beaucoup après
mon arrivée, sur-tout les matins et les soirs. Quoique ces p uies
ne durassent pas long-tems, le ciel étoit toujours nébu e ,
l’air épais et humide , de manière qu’il n’y eut pas moyen de
faire sécher les herbes nouvellement cueillies ; car elles se ga-
toient plutôt que de se sécher dans les appartemens fermes. La
saison des pluies dure depuis le mois de décembre jusqu en mars.
L’air commence alors à se rafraîchir, et les maladies sont moins
communes ; enfin c’est l’hiver de ces contrées. Une saison plus
chaude lui succède bientôt. On éprouve des chaleurs brûlantes
et insupportables. Le ciel est toujours pur, aucun nuage n obscur-
' oit le -soleil etne tempère l’ardeur de ses rayons.^
Le nouvel an des Chinois commença le premier jour de la nouvelle
lune de février ; c’èst une fête qu’ils célèbrent avec beauJe
retrouvai dans M. Radermacher la meme affabilité et les
mêmes bontés dont il m’avoit comblé avant mon premier séjour;
je ne pus me dispenser d’aller au moins deux fois par
semaine dîner chez lui, pour l’entretenir de mes observations
sur le Japon, et du fruit de mes promenades botaniques aux
environs de Batavia. Il étoit toujours surpris de mon activité
et de ma vigueur , car j’herborisois toute l’ après-midi, pendant
la plus grande chaleur du jour, au moment ,ou les Européens
se livrent au sommeil.
(1) Les Chinois répandus dans les
îles de la Sonde et dans plusieurs autres
a.e l’Océan indien, descendent, pour la
plupart, de ces émigrés q u i, en i 644,
a l’époque de l ’invasion des Tatars-
Tïïaritchoux, aimèrent mieux quitter
leur pays que de subir la loi des vainqueurs.
En adoptant le système politique
des vaincus, ceux-ci voulurent les
contraindre’de suivre leurs moeurs et
leurs modes, et beaucoup de Chinois
préférèrent de perdre la vie ou d’abandonner
leur patrie, plutôt que de se
couper la barbe et les cheveux, Scc.
Jlist. de 'ta conquête de la Chine par les
Tartares, p. 36o. Rédacteur.
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