
suite proportionnée à leur rang, qui alloient rendre leur hommage
à l’ empereur. Très-peu revenoient. La plupart nous laissèrent
en arrière, et il falloit nous arrêter pour laisser passer les
gens d’un rang supérieur , à moins que nous ne fussions assez
heureux pour arriver avant eux. Mais si nous avions le malheur
de dîner ou de coucher dans quelques petits endroits en meme
tems que ces hrillans voyageurs , il falloit leur abandonner
l’unique auberge passable , et nous réfugier dans quelque misérable
gargote. Il nous arriva même une fois d’etre obligés de
passer deux jours dans un temple situé hors d’une v ille , faute
de porteurs, de chevaux et autres objets nécessaires pour continuer
notre route. Les illustrissimes voyageurs avoient eu l’impolitesse
de tout accaparer.
Certains princes se font accompagner de plusieurs centaines,
et même de plusieurs milliers d’hommes qui marchent en ordre ;
leurs bagages sont chargés sur des chevaux; on porte une partie
de leurs armes et des marques de leur dignité très-loin en avant
de leurs norimons, et une autre auprès des portières. Quelques-
uns faisoient précéder leur voiture par un ou deux chevaux de
main ■ leursvalets portoient sur le poing un ou plusieurs faucons
dressés pour la chasse, et attachés par la patte avec une chaîne.
Leur bagage consistoit en coffres de différentes grandeurs, lits,
service pour le thé , parasols, évantails, chapeaux, pantoufles
pour les valets. Le silence le plus profond régnoit par-tout où.ils
passoient ; le peuple se prosternoit la face contre terre pour
leur témoigner son profond respect. Les porteurs de norimon
avoient la livrée du maître, dont les armes étûient empreintes1
sur tout son mobilier. La plupart , en passant auprès de nous,
baissoient les stores de leurs norimons 5 d’autres , au contraire,
les levoient pour nous saluer. Quelques-uns poussèrent la politesse
jusqu’à nous envoyer un de leurs officiers pour nous complimenter
et nous souhaiter un bon voyage.
Quand nous précédions l’arrivée d’un de ees seigneurs dans
une ville ou dans un village , nous nous amusions à voir les préparatifs
que l’on faisoit dans la maison destinée à les recevoir,
et nous nous placions dans une grande rue pour voir défiler
le cortège. Comme les rideaux du norimon étoient ordinairement
relevés , nous pouvions considérer le prince tout à notre
aise ; il étoit assis et ressembloit aux hommes du peuple pour
le teint, pour l’air et même pour l’habillement : il n’ en différait,
absolument que par le train.
Tous les princes sur le territoire desquels nous passâmes ne
manquoient pas d’envoyer à notre rencontre sur les frontières
de leurs provinces un officier pour nous complimenter. Jamais
nous n’eûmes la permission de rendre visite à ceux même qui
résidoient dans les villes situées sur notre passage; cet honneur
seroit devenu trop onéreux à la Compagnie par les présens-
considérables dont on a coutume de faire précéder ses visites.
Des raisons politiques empêchoient ceux-ci de venir nous voir;
l’empereur verroit ces démarches de très-mauvais oeil; il crain-
droit que les Hollandois ne se liassent avec ces princes , et les
conséquences de ces liaisons ne tourneroient pas à son avantage.
En outre, le prince ne voudroit paraître devant nous qu’avec
tout l’éclat qu’il croit convenable à son rang , et cette vanité
lui deviendrait très-dispendieuse. Ces considérations et ces
ridicules préjugés ne retinrent pas cependant un prince vraiment
aimable et avide d’instructions. Nous fûmes bien étonnés
de le voir arriver incognito un soir dans notre auberge ; il n’étoit
accompagné que de deux cavaliers. Il resta chez nous fort tard,
et nous entretint de différent objets avec autant de sagacité
que de grâce. On parla du Japon , et plus encore de l’Europe. Il
examinoit avec la plus grande attention tous les petits ustensiles
dont nous nous servions dans le moment.