
rencontre dans la rue une personne de distinction , il s’arrête
tout court jusqu’ à ce qu’elle soit passée.
Si les deux pâssans sont d’égale condition, ils s’arrêtent tous
deux, s’inclinent et s’en vont tout inclinés chacun de son côté.
En entrant dans une maison ils se mettent à genoux, baissent
la tête ; ils, répètent ce même mouvement de tête avant de se
lever pour s’en aller.
Cette nation ne le cède, pour la curiosité, à aucune de toutes
celles que j’ai visitées. Ils considèrent bien attentivement tout
ce' que les Européens apportent et ce qu’ils ont sur eux : ils
s’informent de tout. Comme le médecin de légation passe pour
le plus instruit de tous les Hollandois, il est plus particulièrement
exposé à leurs importunes interrogations, soit dans la factorerie
de la petite île de Desima, soit pendant le voyage à la
cour, ou son séjour à Iédo. Cest pour eux un oracle, de qui ils
attendent satisfaction sur tout ce qu’ils lui demandent. Leurs
questions roulent>particulièrement sur les mathématiques, la
géographie, la physique, la pharmacie, la zoologie , la botanique
et la médecine. J’ai déjà-parlé de l’attention avec laquelle on
nous examina chez l’empereur et les Grands d’Iédo. Chapeaux,
épées , habits, boutons, galon, montre, cannes,bagues, &c. &c.
ils inventorièrent tout ce que nous portions de la tête aux pieds ,
et voulurent même avoir des modèles de notre écriture (1).
Ce peuple est peu inventif, et n’exerce son industrie que sur
les objets véritablement nécessaires ; mais tout ce qui sort de
ses mains est d’un fini précieux 5 rien n’est comparable à l’ éclat
et à la beauté de ses ouvrages en cuivre ou autre métal, ceux
en bois réunissent la délicatesse à la solidité. On n’ a pas encore
pu égaler la beauté de leurs laques et la bonté de la trempe
de leurs sabres.
Il est impossible de se former une idée, à moins d’en avoir
(1) Voyez ci-dessus, p. 78.
été
été témoin oculaire , de la patience et des soins minutieux avec
lesquels les laboureurs cultivent leurs champs.
C’est au Japon sur-tout que j’ ai trouvé celte sage et utile
économie qu’il ne faut pas confondre avec l’avarice, et à laquelle
je ne fais pas difficulté d’accorder le nom de vertu, puisque
son contraire est un des vices les plus dégoûtans. Cette vertu ,
dis-je, est également pratiquée dans le palais de l’empereur,
et dans la chaumière du pauvre. Celui-ci sait se contenter du
peu qu’il possède $ l’homme opulent ne dissipe pas ses trésors
en profusions injurieuses pour l’indigence et funestes aux moeurs.
De-là l’heureuse ignorance de çes deux fléaux si communs.chez
nos sages nations européennes, la disette et la cherté, mots
dont on trouve à peine les synonymes dans la langue japonoise.
Parmi les nombreux habitans de cet empire, il est rare de
rencontrer un mendiant, et même un indigent (1). Leurs désirs
sont aussi bornés que leurs besoins , et ils n’ont aucuns de ces
défauts nés de l’extrême misère et qui l’entretiennent : les
ivrognes sont aussi rares que les mendians. Ils ne perdent point
leur terrain ni leur tems à la culture du tabac, et des plantes
auxquelles l’oisiveté et la satiété ont. donné quelque valeur.
Grâce à leur ignorance en chymie, ils ne se sont pas encore
avisés d’extraire des breuvages empoisonnés, des grains destinés
à leur procurer une nourriture saine et facile.
La propreté est encore une des qualités essentielles de ce 1
(1) Lelecteur n’aura pas l ’impolitesse
de ranger dans cette ' classe les j eunes
importunes de la montagne de Fako-
nié , et nous n’avons pas encore oublié
la différence qu’établissoit la pieuse
galanterie française entre les sales moines
mendians et les jolies hirondelles
de carême : o r , ces trois jeunes filles
Tome I I .
étoient des religieuses attachées à un
temple des environs. Leur règle leur
impose le devoir de pourvoir à tous
les besoins des saints bonzes chargés
de desservir le temple, et qui s’engraissent
des aumônes de toutes espèces
que leur rapportent leurs jolies
pourvoyeuses. Note du Rédacteur.
R