
• Nous entrâmes le soir très-tard dans la province d’Isi, et
nous couchâmes dans la ville de Seki.
Le 16 , nous eûmes encore une route aussi variée , aussi
pittoresque que les jours précédons 3 car la province d’Isi est
très-peuplée, très-fertile et bien cultivée, et le chemin étoit
presque par-tout bordé de maisons 5 les villages semblent aussi
se toucher. Mais notre odorat, payoit avec usure les jouissances
que nos yeux nous procuroient, o u , pour mieux dire, la fétidité
infecte de l’air nous rendoit insensibles aux charmes du paysage.
Nous fûmes même contraints d’avoir lës fenêtres de nos nori-
mons presque toujours fermées, et en voici la cause. Les lieux
d’aisance de chaque maison sont généralement, ouverts du côté
de la rue, de manière que les passans peuvent lâcher de l’ eau
dans une grande cruche enterrée à fleur du sol. Ces ordures ,
et d’ autres immondices que l’on ramassé bien soigneusement
pour l’engrais des terres, répandent une putridité horrible et
insupportable dans les grandes, chaleurs sur-tout 5 car il n’y a
point de parfum ou d’anti-méphitique capables de la neutraliser.
Ces réservoirs ont bien leur utilité pour l’agriculture ,
mais rien ne compense, selon moi, l’incommodité et même l’insalubrité
des miasmes qui s’en exhalent. Ils attaquent sur-tout
les yeux 3 beaucoup de jeunes gens et tous les vieillards ont
les-paupières ensanglantées et chargéesde plaies et de pus*
Nous fîmes aujourd’hui dix milles japonois5 nous'dînâmes à
Tchakousi, et couchâmes à Kvana, ville considérable , après
avoir traversé Nosin, Kamirouïammi, Moirinosta, Sono, Soutski,
Oïvaki, Iokaïts , grande ville , Tomida et Matsdera.
Depuis Iokaïts jusqu’à Iédo nous côtoyâmes presque toujours
le rivage de la mer, et nous passâmes à gué plusieurs rivières
considérables sur lesquelles on ne peut construire de pont, à
cause de leur débordement dans les grandes pluies.
Nous fûmes accueillis à Iokaïts par trois religieuses mendiantes
.: chacune d’elles s’étoit attachée à un de nos norimons ,
dans l’espoir.d’obtenir quelqu’aumône des Hollandois. Nous n.e
les fîmes point attendre pour leur donner une belle pièce d’argent.
D’après cette première largesse elles s’obstinèrent à nous
suivre l’espace dé quelques lieues 3 alors nous changeâmes une
pièce d’or en petites monnoies de cuivre nommées serti , qui
s’enfilent dans un cordon, et nous leur donnions quelques-unes
de ces pièces de tems en tems.
Ces trois filles me parurent très-jeunes 3 elles pouvoient avoir
de seize à dix-huit ans 3 leur tournure décente , et leur costume
propre- et honnête, contrastoient avec leur métier. Les
interprètes'nous dirent que c’étoient les filles des prêtres dés
montagnes , nommés Iammabos; ils m’assurèrent que ce contraste
dont je me plaignois me patoîtroit encore plus choquant,
si je connoissois leurs moeurs. Elles sont tolérées moyennant un
tribut annuel qu’elles paient au temple d’Isi. Ces malheureuses
sont Connues dans le. pays sous le nom de komuno bihouni.
Nous couchâmes dans une belle et vaste hôtellerie de Kvano j-
ville grande , belle et bien fortifiée de l’Osvari, l’ùné des plus
riches, provinces appartenantes aux princes particuliers. Cette
ville est environnée de fossés et de murs avec 'deux citadelles-
flanquées de hautes tours,, qui produisent un très-bel effet*
On a pratiqué dans les murailles de la ville dés ouvertures
oblongues par lesquelles les -soldats de la garnison peuvent lancer
leurs flèches sans être exposés à celles de l’ennemi.-
Le. 17 avril nous passâmes la baie de Mia, qui peut avoir
sept milles de large. Cette traversée mérite d’être décrite.
Nous nous embarquâmes à Kvana, dans un grand bâtiment,
avec notre suite et nos bagages3 mais arrivés à l’entrée du
port de Mia , nous trouvâmes l’eâu si basse , qu’il fallut entrer
dans de petits bateaux, qui touchoient- encorè le fond.. -Deux
hommes marchant dans la vase .poüssoient à bras chacune-
de ces barques, de manière que nous fîmes un assez long-trajet
autant par terre que par eau*