
pour nous du côlé du nord, nous l’eûmes ensuite du côté du
midi, et il s’abaissa de plus en plus à l’horizon.
Le 2g, les capitaines se rendirent à notre bord pour ouvrir les
lettres qu’on leur avoit remises, et qui indiquoient si les vaisseaux
dévoient prendre par la Manche, ou passer derrière les îles Britanniques
: on prend cette dernière route en tems de guerre.
. Nous voguions alors sur cette portion de l’Océan qu’on nomme
Kross sjou, et qui abonde, tellement en varec (1) , que la surface
de l’eau en semble toute couverte. Dans un tems calme,
on croit traverser une immense prairie ; quelquefois ces plantes
forment des îles flottantes que le vent disperse, et détruit quand
il souffle avec, un peu de véhémence. On voit aisément que
ce fucus prend de l’accroissement et pousse de nouvelles branches
en flottant ainsi sur les eaux; ces branches acquièrent
même une ’ certaine grosseur. En examinant de plus près cette
plante marine , je vis qu’elle servoit d’asyle et de nourriture à
dillerens animaux, tels que la scyllée (2), le crabe nain (3) de
différentes grosseurs, et de la baudroie tachetée (.4) , poisson
que les Hollandois nomment- Jcronjish (poisson couronné), à
cause des raies qu’il a sur la tête et sur le dos» lesquelles ressemblent
assez à une couronne ; il est très-bigarré et très-beau,
mais de peu de valeur : son prix est en raison de sa grosseur,
car ces poissons sont ordinairement fort petits : il est rare d’en
voir de la longueur du doigt. J’en conservai quelques-uns dans
de l’esprit-de-vin. 11 est très-difficile de transporter ce poisson
vivant en Hollande ; quand on y parvient, et qu’il est un peu
gros , on le vend jusqu’à douze ducats,.
Le 25 août on tua un porc, dont la vessie conlenoit une pierre
calcaire presque ronde, grosse comme une balle à fusil » dure dans
(1) Fucus n a ta n s . L e varec flottant. (3) C a n c e r m in u t e s . :
(2) S c y l loe a p e la g i c a . Ver de l’ordre (4) L o p h iu s h is t r io .
des mollusques.
l’intérieur,
^intérieur, un peu applatie , avec quelques rugosités. Elle etoit
d’abord d’un brun de châtaigne, mais elle blanchit en se séchant.
Ce porc avoit été acheté à Ceylan.
, Le 12 septembre, on sonda pour connoîtrela profondeur et
la qualité du fond : on salua ensuite de' onze coups de canon les
deux autres vaisseaux, qui nous les rendirent.
Nous avions à notre bord un vieillard nomme Bergakker, dont
le sort me toucha vivement; il-eut le malheur de s’attirer la
haine d’un capitaine hollandois, sur le vaisseau duquel il servoit
en qualité de premier chirurgien. Celui - ci ne consultant que
sa haine , non-seulement permit aux mousses d’iusulter ce vieux
chirurgien, mais il sut même le faire passer pour insensé , et
dressa un procès-verbal en conséquence. Il remit au directeur
cet écrit calomnieux, revêtu de la signature de plusieurs officiers
assez lâches pour seconder ses coupables intentions. L infortune
Bergakker 6e vit remplacé et enfermé comme fou , sans avoir ,
même la permission de prendre l ’air sur le tillac. Arrive au
Cap de Bonne-Espérance, on le conduisit en prison sans lui laisser
le moyen de faire parvenir ses plaintes au gouverneur ou a
quelques conseillers. Au moment de la revue de 1 équipage, ou
le fit paroître comme prisonnier; on l’ embarqua pour le transporter
en Europe, sans lui donner d’appointemens. Quoiqu ou
l’eût déclaré fou , je n’ ai découvert en lu i, pendant plusieurs
-mois que dura notre traversée, aucun trait de.demence. Au reste ,
.ce n’est pas le seul acte de vengeance et d’audace dont j’ aie été
témoin pendant les sept années que j’ ai passées aux Indes. Je
pourvois citer mille exemples de 1 injustice , du despotisme et
de la cruauté . des capitaines hollandois. • Mais f is 11’ont rien à
redouter de l’insouciance du gouverneur et des- conseillers du
Cap de Bonne-Espérance, qui épargnerùient bien des maux aux
subalternes par des examens sévères de la conduite des officiers.
Celui qui. persécuta mon respectable confrère , ' se nommoit
Klein; tous ceux qui lé connoissoient le méprisoient et l’abhor-
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