qui tient lieu de véritables dents (e). Prefque tout
eft particulier dans le Caméléon : les lèvres font fendues
même au - delà des mâchoires, où leur ouverture
fe prolonge en bas : les yeux font gros & très-faillans ;
& ce qui les diftingue de ceux des autres Quadrupèdes,
c’eft qu’au lieu d’une paupière qui puiffe être
levée &. baillée à volonté, ils font recouverts par une
membrane chagrinée| attachée à l’oeil, & qui en fuit
tous les mouvemens. Cette membrane eft divifée par
une fente horizontale, au travers de laquelle on apper-
çoit une prunelle vive, brillante & comme bordée de
couleur d’or.
Les lézards, & tous les Quadrupèdes ovipares en
général, ont les yeux très-bons. Le fens de la vue ,
ainfi que nous l’avons dit, paraît être le premier de
tous dans ces animaux , de même que dans les oifeaux.
Mais les Caméléons doivent jouir par excellence de
cette vue exquife : il femble que leur fens de la vue
eft fi fin 6c fi délicat, que fans la membrane qui revêt
leurs y e u x , ils feraient vivement offenfés par la lumière
éclatante qui brille dans les climats qu’ils habitent.
Cette précaution qu’on dirait que la Nature a
(e) Nous nous fommes affurés de l’exiftence de cet os dentelé» par
rinfpeélion des fquelettes de Caméléon , que l'on a au Cabinet du
Roi. Profper Alpin a nié , en quelque forte, l’exiftence de cet os. Voyez
fon Hiftoire naturelle de l'Egypte, tome I , Chapitre y .
D E S Q U A D R U P È D E S O V I P A R E S , 3 4 3
prife pour eux, reflemble à celle des Lapons & d’autres
habitans du Nord, qui portent au-devant de leurs
y eu x, une petite planche, de fapin fendue , pour fe
garantir de 1 eclat.eblouifîànt de la lumière fortement
réfléchie par les neiges de leurs campagnes ; ou plutôt
cé n’eft point pour conferver la finefîè de leur vue
qu’il leur a été donné des membranes : mais c’eft parce
qu’ils ont reçu ces membranes préferyatrices, que leurs
yeux moins ufés, moins vivement ébranlés, doivent
avoir une force plus grande & plus durable.
Non-feulement le Caméléon a les yeux enveloppés
d’une manière qui lui eft particulière, mais ils font
mobiles indépendamment lun de l’autre; quelquefois
il les tourne de manière que l’un regarde en arrière,
& 1 autre en avant; ou bien de l’un il voit les objets
placés au-deffus de lui, tandis, que de l’autre il ap-
perçoit ceux qui font fitués au-deffous ( f ) . Il peut
par-là confidérer à-la-fois un plus grand e fp a c e ;& ,
fans cette propriété fingulière, il feroit prefque privé
de la vue malgré la bonté de fes y eu x , fa prunelle
pouvant uniquement admettre les rayons lumineux
qui paflent par la fente très-courte & très-étroite que
prefente la membrane chagrinée.
Le Caméléon eft donc unique dans fon ordre, par
(ƒ) Le Bruyn. Voyages au Levant.