rent à la débandade, chacun de son côté, se fiant à la
grâce de Dieu. Ah! si les Turkomans avaient paru,
ils auraient eu beau jeu! Il arrive deux ou trois fois par
mois qu’ils enlèvent, pendant le trajet de cette étape,
une foule de Persans qui se montrent aussi peu prudents
que nous le fûmes; mais ces leçons, quelque
souvent répétées qu’elles soient, ne leur servent à rien:
Khouda-kérim (Dieu est miséricordieux), disent-ils
d abord en partant, et quand ils sont pris, ils se consolent
en disant : Tallèh, nassib boud (c’était mon sort,
ma destinée). Nous arrivâmes à Abbas-Abad sans faire
de mauvaise rencontre. Ce village, situé sur le faîte
d’une éminence, se compose de quarante-cinq maisons,
enfermées au milieu d’une mauvaise muraille
en terre; un peu au-dessous est un caravansérail-
châh dans les murailles duquel les Turkomans ont
pratiqué de nombreuses et larges brèches, afin de s’y
introduire la nuit, par surprise, pour piller les caravanes.
Personne ne s’occupe de réparer cet édifice,
ce qui pourrait être fait avec une somme très-minime.
Châh-Abbas le Grand, voulant faciliter la route
de Meched et y rétablir la sécurité, avait fait élever
de cinq en cinq farsangs des caravansérails partout où
il en manquait, et des villages qu’il peuplait d’hommes
aguerris, quand ils étaient situés sur des points
où ils pouvaient être exposés aux attaques des Turkomans.
Telle fut l’origine d’Abbas-Abad; mais des cent
quarante-trois familles qui furent amenées par cet illustre
souverain, il n en reste *plus que trente-deux
aujourd’hui ; les guerres civiles et les Turkomans ont
fait disparaître le reste. Nous trouvâmes la population
consternée; les Turkonians les avaient attaqués la
veille et leur avaient enlevé deux hommes et six
femmes. Comme ces gens-là se sont continuellement
alliés entre eux, depuis leur transportation, le type
géorgien s’est conservé assez pur parmi ces familles
dont la plus grande partie sont devenues musulmanes,
de chrétiennes qu’elles étaient d’abord ; cependant,
il en reste encore sept ou huit .qui ont persévéré dans
la foi de leurs pères. Les habitants d’Abbas-Abad ne
payent aucun impôt à l’État, les voyageurs doivent
acheter ce qu’ils leur fournissent, même quand ils
sont mugis d’un ferman royal. Outre cet avantage,
dont jouissent bien peu d’autres villages en Perse,
le Châh continue à leur donner annuellement 100
tomans de gratification que Châh-Abbas leur avait
accordés à perpétuité, en les établissant. Malgré ce
subside, ils ne jouissent d’aucune aisance; leurs cultures
sont presque nulles, et ils ont tout au plus
quatre ou cinq jardins. L’eau est rare et de très-mauvaise
qualité. Avec fort peu de travail, et sans aucune
dépense, ils pourraient pourtant en amener de meilleure
dans leur village : il s’agirait de creuser un nouveau
lit à un large ruisseau qui coule, sans profit pour
personne, à une heure de là, et va se perdre dans le
désert, ce qui leur permettrait d’augmenter leurs cultures;
mais ils craignent, en acquérant une apparence
de bien - être, de se voir exposés à la perte de la
pension qu’ils ont reçue jusqu’à ce jour. Ils tiennent
beaucoup moins cependant à cette pension à cause des
privations dont elle les exempte, que parce que, si elle
leur était retirée, le gouvernement ne se contenterait
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