
troublé et si effrayé qu’il ne voyait même pas où il
devait poser le pied : il ne reconnaissait personne
autour de lui ; son langage était incohérent, décousu ;
il n’entendait pas ce qu’on lui disait et n’y répondait
pas davantage; en un mot, il tremblait comme un
saule agité par le vent. L’Émir de Bokhara eut pitié
de lui : « Reconduisez ce malheureux chez lui, dit-il
au maître des cérémonies, il est incapable de converser
et sa frayeur me fait de la peine. » A cette époque,
l’Émir n’avait nullement l’intention de faire périr le
docteur Wolf, mais il s’y décida par la suite, et dès
lors le danger cessa d’être imaginaire. Cette triste
réalité se fut sans doute accomplie si le Châh de Perse,
informé des intentions sanguinaires de Nasser-Ullah,
ne lui eût écrit une lettre par laquelle il le menaçait
de toute sa colère, s’il ne relâchait au plus tôt le timide
missionnaire. A peine le docteurWolf eut-il reçu
la permission de quitter Bokhara, qu’il se mit en route,
continuant d’éprouver une terreur difficile à décrire,
terreur qui était entretenue par ses propres domestiques,
lesquels tiraient de bons bénéfices de ses
craintes puériles. Chaque buisson lui paraissait une
embuscade, et les voyageurs qu’il rencontrait des si-
caires envoyés par l’Émir pour le mettre à mort.Toutes
les fois qu’il en voyait un, il remettait un tellah à son
domestique pour le porter au nouvel arrivant, afin de
se le rendre favorable et de l’engager à passer au
large. Le domestique gardait le tellah pour lui, et, au
lieu de faire faire un détour au voyageur, il le faisait
faire à son maître qui se tenait pour content dès qu’on
ne l’approchait pas. Le docteurWolf contournait les
villages ou les campements de nomades et couchait en
plein air, dans les lieux isolés; il ne mangeait de rien
avant que ses compagnons de voyage n’eussent goûté
les mets devant lui. La peur l’avait réduit à un état
de faiblesse inconcevable : c’était à ce point qu’il
était incapable de s» vêtir lui-même, et qu’il fallait
lui mettre depuis sa chemise jusqu’à son turban, service
que ses domestiques n’aimaient guère à lui rendre,
eu égard aux émanations fétides qui s’échappaient
de son corps. Quand le docteur Wolf arriva à
Téhéran, n’ayant pas trouvé à s’installer immédiatement
dans la mission britannique qui, je crois, était
déjà à son campement d’été, il vint passer un jour à
la légation de France. M. de S*** obtempéra aussitôt au
désir qu’il manifesta de lire les journaux d’Europe
arrivés pendant son absence, pensant que le Révérend
allait lire les nouvelles qu’ils contenaient en prenant
son temps ; mais loin de là, le docteur eut achevé en une
heure la lecture de cent-cinquante numéros:il s’était
contenté de les parcourir pour voir si l’on s’était ôccu-
pé de lui dans la presse, pendant son séjour à Rokhara.
Son indignation fut grande quand il se fut convaincu
qu’on n’avait rien dit de lui, ou du moins fort peu de
chose.
Avant de terminer cette petite narration, je ne crois
pas inutile de citer une autre anecdote sur le docteur
Wolf. afin de faire connaître la morale qu’il s’est faite
sur certaines choses. En 1832, lorsqu’Abbas-Mirza
était occupé à réduire les petites forteresses insoumises
du Khorassan, le docteur se trouvait à Meched
et logeait avec un Polonais, M. B‘*% chez le ketkhoda