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franchement que le fit Ferz-Ullah-Khan. Pour mon
compte, je puis affirmer qu’il était dans le vrai, et
qu’il aurait pu ajouter encore bien d’autres vérités
aussi peu flatteuses que celles-là, pour compléter le
tableau.
Quand j’arrivai chez le Sertip, je le trouvai en compagnie
de quelques Séyids qui essayaient de lui extorquer
de l’argent. On ne saurait se faire une juste idée,
quand on n’en a pas été témoin, de l’impudence de
ces descendants du Prophète; ce sont de vraies sangsues
pour le peuple, par lequel ils se font défrayer de
toutes leurs dépenses. Rien n’égale leur arrogance,
et la prétendue sainteté de leur origine fait que les
musulmans n’osent pas se soustraire à leurs exigences,
bien qu’elles dépassent quelquefois toutes les bornes
imaginables. L’un de ceux qui se trouvaient chez
le Sertip était dégoûtant de saleté, et me parut être
la brute la plus inintelligente que j’eusse encore vue
parmi ceux de sa race. Usant du privilège que lui
donnait sa naissance, il s’était assis à la place d’honneur,
au-dessus du Khan, et le menaçait de tout
le courroux céleste s’il ne lui fournissait dix tomans
(à 12 fr. l’un) qui lui manquaient pour achever la
construction de sa maison. Quand le déjeuner eut été
servi, il plongea sans façon ses doigts sales et couverts
de plâtre dans la même assiette que le chef de tribu,
lequel en paraissant assez peu flatté de faire ordinaire
avec un aussi dégoûtant personnage, se résignait
cependant, pour ne pas froisser les usages reçus. Après
avoir empoché les dix tomans qu’on lui donna, et
absorbé sa part du déjeuner, on eut cru que le Séyid
allait se retirer satisfait, mais le proverbe qui déclare
que l’appétit vient en mangeant, avait été fait pour
ce gaillard-là ; avant de se retirer, il exigea encore
un manteau pour lui, quelques aunes de toile pour
tailler des pantalons à ses fils, et un kharvar (six quintaux)
de grains pour les nourrir. Le Khan ne put se
contenir devant l’effronterie de cette nouvelle demande,
et il apostropha le Séyid avec une colère qui,
à force d’avoir été comprimée, éclata avec violence.
Je craignis un moment que le sang dû Prophète ne
fût pas une garantie suffisante pour préserver notre
homme de la bastonnade qu’il méritait : par bonheur,
le Sertip se calma. Je vis bien qu’il souffrait de voir
que tout cela se passait en ma présence, aussi pour
en finir il dit au solliciteur : « Fais-toi soldat, alors
j’aurai soin de toi et de ta famille : mais jusque-là-,
ne viens plus m’ennuyer par des demandes que je ne
satisferai point. » Le Séyid ne se montra nullement
blessé des dures paroles qu’il venait d’entendre. Il
se tourna vers moi en me disant : « Saheb (monsieur),
vous devez avoir une bien mauvaise opinion des Persans,
en voyant avec quelle inhumanité ils traitent les
descendants du saint Prophète ; de quel oeil voit-on
les Séyids, dans votre pays? » — « Comme des chiens
(keupek Quibi), répondit sèchement Ferz-Ullah-Khan.»
—« Il paraît que les constellations ne me sont pas
favorables aujourd’hui, continua le Séyid en se levant ;
je reviendrai demain. »— « (Borov djéhénem) Ya-t’en
en enfer! marmotta le Sertip entre ses dents. » Tel
fut le voeu dont il accompagna le saint homme à sa
sortie : puis se tournant vers moi, il ajouta : « Tant