
butte, la coquinerie de mes domestiques par lesquels
j’avais été en partie dépouillé, les craintes que j’avais
eues d’être reconnu et arrêté en Perse, je persistai à
continuer mon voyage. Avais-je donc moins de périls
à redouter en arrière qu’en avant? Fallait-il renoncer
à mes projets, en présence d’une dernière difficulté ?
Fallait-il reculer devant des obstacle que j’avais prévus
avant de quitter Bagdad? Agir ainsi me paraissait être
le comble de la puérilité et de l’inconséquence : j’avais
fait d’avance le sacrifice de ma vie, mais il ne s’ensuivait
pas que je dusse me livrer, pieds et poings
liés, à ceux qui seraient tentés de m’égorger. Avec
de la prudence, du courage et de la persévérance,
l’homme arrive presque toujours à son but. Pour mon
compte, quoique je n’aie pas pu arriver jusqu’au
Pindj-âb, je suis persuadé qu’il n’y a pas une seule
contrée de l’Asie inaccessible à un Européen connaissant
la langue, la religion et les moeurs des habitants
du pays dans lequel il voudra pénétrer. 11 suffit
pour réussir de savoir mettre en pratique avec les
Asiatiques cette souplesse de caractère que leur duplicité
rend nécessaire, en se conformant exactement à
leurs usages. Si j’ai échoué en Afghanistan, c’est que
j’étais le premier Européen qui tentait d’y entrer
isolément, depuis les désastres des Anglais à Kaboul;
la haine et la défiance étaient encore trop grandes
contre eux.Cependant j’ai pénétré dans de nombreuses
principautés et le passage ne m’a été barré qu’à la
dernière tentative. Ma tête a couru de grands risques,
il est vrai, mais enfin je l’ai rapportée intacte sur mes
épaules, et s’il y avait nécessité de recommencer le
voyage, malgré tout ce qui m’est arrivé, je n’hésiterais
pas un seul instant.
Je n’avais aucun intérêt, et je voyais plutôt un danger
à revêtir mes habits européens, aussi je me décidai
à les laisser dans ma malle pendant le reste du
voyage et à m’habiller comme un Afghan. Cependant,
malgré ce déguisement, je résolus d’avouer ma qualité
d’Européen à tous les chefs des pays par où je devais
passer, en la cachant, toutefois, le plus possible, aux
populations, moins dans la crainte des dangers qui
devaient en résulter pour moi, que pour éviter l’ennui
résultant de leur incroyable curiosité et de leur sans-
façon *. Ce fut la Providence qui me suggéra cette détermination,
car'si j’avais essayé de me faire passer
pour un Asiatique, j’aurais infailliblement été reconnu
à Hérat par nombre de personnes qui m’avaient
vu à Meched, et il m’eût alors été très-difficile de faire
revenir Yar-Méhémed-Khan, chef de cette principauté,
des soupçons qu’il aurait conçus contre moi.
Je pris à Meched un domestique hératien ayant de
bons répondants,car je nevoulaisplus d’unPersanpour
me servir. Ou Ire la crainte que m’eût inspirée la scélératesse
habituelle à ceux de sa nation, il aurait, autant
que moi, provoqué la défiance des Afghans, tandis
qu’en prenant un serviteur de leur race, je paraissais
i L’avis que donne ici M. F e rrie r e st des plus judicieux. En
portant te turban, autrement dit le kadjar-cap, et un chogah
ordinaire sur les vêtements, les Européens évitent de nombreux
ennemis. Les officiers de la Mission d’Hérat ne prenaient aucune
précaution pour cacher aux chels leur qualité d’Anglais, chaque
fois q u ’ils se mettaient en voyage. — L.