
des apothicaires) Agha-Hussein et le Sertip La’l-Méhé-
med-Khan, étaient les seules personnes qui eussent
obtenu la permission d’assister à notre entrevue.
Dès que je parus à l’entrée de la chambre, Yar-Mé-
hémed-Khan se leva, fit trois pas pour venir à ma
rencontre, et me prit la main qu’il serra avec force :
puis il reprit sa place et me fit asseoir à côté de lui. Le
Vézir-Saheb était un homme de haute taille, à la physionomie
dure, mais expressive et fortement caractérisée
; il ne paraissait pas avoir plus de cinquante
ans, bien qu’il en eût au moins dix de plus. Ses habits
étaient en châle de cachemire, et il ne portait pas le
turban comme ses compatriotes , mais le bonnet en
peau d’agneau comme les Persans. On m’a assuré
qu’en modifiant cette partie de son costume, le
Vézir-Saheb n’avait eu pour but que de se rendre le
Châh de Perse favorable. Effectivement, un étranger
ne saurait faire plus de plaisir aux Persans qu’en
adoptant leur coiffure. Les chapeaux et les casquettes,
par exemple, leur sont en horreur, car ces coiffures
sont à leurs yeux le signe distinctif de la nationalité
des Européens, en même temps que de leur puissance,
par laquelle ils ont été tant de fois humiliés. Ceux
d’entre eux qui sont au service de la Perse peuvent,
sans inconvénient, conserver le costume de leur pays,
peuple de Hérat, et particulièrement le sPa rsiv an s,lu i doivent une
grande reconnaissance pour les soins q u ’il mit à les protéger
contre les fureurs fréquentes du Roi e t la tyrannie de Yar-Mé-
hémed. Ce fonctionnaire était très-respecté et passait pour être
le seul homme influent de Hérat qui n’e û t pas fait le commerce
des esclaves. — L.
mais ils sont vus d’un mauvais oeil lorsqu’ils ne
prennent pas le bonnet de peau d’agneau. Le rusé
Yar-Méhémed-Khan savait bien cela, et en abandonnant
le turban, il voulait qu’à Téhéran on crût à son
dévouement à la dynastie des Kadjars '.
Les manières polies, empressées et sans cérémonie
du Vézir-Saheb me mirent tout de suite à mon aise.
Tandis que nous fumions le kalioun, il fit servir le thé
qu’il prit lui-même des mains du Pichkhedmed pour
me l’offrir; enfin il me traita avec une considération
dont je fus vraiment confus. La politesse est grande
dans les cours souveraines d’Asie, mais l’étiquette y
est aussi très-sévère, et si l’on s’en est départi quelquefois
avec les Européens, il faut avouer qu’on doit
cela aux Anglais qui ont su se poser dans cette contrée
en gens qui connaissent leur valeur. Aujourd’hui, le
pli est pris, et le plus mince officier de la Compagnie
des Indes reçoit des honneurs presque souverains,
quand il passe dans une des principautés accessibles
de l’Asie centrale. Bientôt après l’échange de compliments
réciproques, .Yar-Méhémed-Khan aborda les
questions politiques. «Vous êtes Anglais, me dit-il
« brusquement, je le sa is, pourquoi le cacher?
« Voyons, dites-moi quelles sont vos intentions? Si
« j’ai eu des torts envers votre gouvernement, il en
1 J ’ai vu Yar-Méhémed p o rter un bonnet de cette façon dans
un temps où il n’avait pas de raisons pour être agréable au Châh.
Le bonnet de peau d’agneau frisée est généralement porté p ar les
Djem-Chidis, les Hézarèhs e t autres tribus Sounnites du voisinage,
avec cette différence qu’il est d ’une grandeur e t d ’une
forme différentes de celles du bonnet Kadjar. — L.