
ville située au sud-est de Bassora et qui, depuis trente
années, était un sujet de contestation entre son souverain
et celui des Turks, venait d’être occupée par
les Persans, il se tourna vers les Khans et Mirzas de sa
suite et leur demanda en langue tartare, qu’il croyait
que je ne comprenais pas, ce qu’était cette localité et
dans quelle direction elle était placée. Ceux-ci, il est
vrai, n’en savaient pas plus que lui et divaguèrent à
qui mieux mieux. Mais je préférai ne pas les en instruire,
de peur de leur montrer que la langue tartare,
dont ils se servaient, n’avait pu me cacher leur ignorance.
Les Persans ont beaucoup de vanité, et ce qu’ils
craignent le plus, c’est d’être blessés dans leur amour-
propre.
Les deux premières journées de mon séjour à Me-
ched se passèrent en visites, et je trouvai là une véritable
compensation aux tribulations que les pèlerins
m’avaient fait éprouver depuis Bagdad jusqu’à Nicha-
pour ; mais, ainsi que je l’ai déjà dit, le pèlerin fait exception
par son fanatisme aux autres Persans, surtout
aux grands seigneurs, qui montrent autant de
tolérance qu’il est permis d’en rencontrer parmi les
chrétiens eux-mêmes. Je vis à peu près tout ce que
la ville sainte renfermait de personnes recommanda-
bles, et partout je fus fort bien traité. C’est un devoir
pour moi de citer parmi elles Agha-Méhémed-Hus-
seiu, Tadjer-Bachi (chef des négociants), homme aussi
remarquable par les qualités du coeur, par son aménité
et par sa tolérance que par la position élevée qu’il
occupe et par l’influence qu’il exerce dans le conseil
d’Assaf-Dooulet. Il est impossible aussi de ne pas me
rappeler sans plaisir l ’accueil plein de cordialité que
m’a fait Abd-ul-Ali-Khan, colonel, commandant l’artillerie
du Khorassaij. L’Iman Djumèh, l’un des grands
pontifes de la Perse, homme aimable et instruit, mérite
aussi que je consigne ici la manière affectueuse et
polie avec laquelle il m’a reçu. C’est l’agent anglais,
Mollah-Mehdi, qui me procura toutes ces aimables connaissances
: il me rendit en outre ces mille petits services
qu’on est si heureux de recevoir quand on voyage
en Asie. 11 était anciennement ketkhoda des juifs de
Meched. Mais, ainsi qu’on le verra plus loin, il fut
obligé, avec tous ses administrés, de se convertir à
l’islamisme, en 4839 *.
Le 27 mai, il m’arriva une très-vilaine affaire, résultant
de mon incroyable et imprudente confiance en
mon domestique Sadeuk. Le matin, en me levant, je
trouvai la porte de ma chambre fermée en dehors, et
je fus obligé de frapper et d’appeler pendant une heure
avant que l’on ne m’entendît. Ce fut le valet du caravansérail
et non Sadeuk qui vint m’ouvrir; celui-ci
était absent. Je pensai d’abord qu’étant allé au bain de
bon matin, il m’avait enfermé dans la crainte qu’on
ne me dérobât quelque chose pendant mon sommeil;
mais comme à midi il n’était pas encore de retour,
je conçus des soupçons et m’empressai de faire l’inventaire
de mes effets. J’acquis bientôt la certitude
1 Nous sommes enchanté d ’apprendre que Mollah - Mehdi
continue ses bons offices aux voyageurs européens. Il est peu
d’Anglais qui, en passant par le Khorassan, n’aient pas eu à se
lo u e r de lui. J’ai tout lieu de croire que cet homme a été quelque
peu payé d’ingratitude. — L.