
rendait hommage à Jésus avec ses coreligionnaires, à
Mahomet avec les musulmans, au feu divin avec les
Guèbres; en un mot, il n’était embarrassé avec personne,
car il connaissait à fond les pratiques extérieures
de toutes les religions, et les pratiquait tour à tour
suivant la société dans laquelle il se trouvait. L’exception
unique que je faisais ordinairement, aux heures
de la prière, m’attirait toujours des regards courroucés
et force propos malveillants; mais la considération
dont m’entourait le Mollah et la ténacité qu’il mettait
à prendre ma défense, exerçaient une certaine influence
sur ces fanatiques qui craignaient d’encourir
son blâme en me molestant, et retenaient leur colère
à mon égard. Mon hôte ne manquait pas de me faire
comprendre par les allusions les plus directes, faites
dans le style le plus fleuri, combien je devais m’estimer
heureux d’avoir sa protection en pareille circonstance,
et la conclusion de tous ses discours était qu’il
avait besoin de se reconforter l’estomac avec un verre
de vin ou une gorgée d’eau-de-vie, besoin que je satisfaisais
volontiers avec mes provisions de réserve. Il
mangeait même du saucisson, jurant se» grands dieux
qu’à Bagdad, d’où j’avais tiré les miens, ils étaient tous
fabriqués avec de la viande de boeuf, et «quand même
ils seraient faits avec de la chair de porc, ajoutait-il
tout doucement, le mal ne serait pas trop grand d’en
manger en voyage, où les privations sont si nombreuses.
» Il m’avouait alors confidentiellement qu’il ne
comprenait pas pourquoi le prophète avait défendu cet
innocent aliment. Comme on le voit, le Mollah Ali
commentait le Koran de manière à excuser ses fautes.
Khanè-Kine est une petite ville composée de mille
maisons environ. On y entre par une rue pavée qui
traverse toute la ville et aboutit à un beau pont en briques
cuites de neuf arches, conduisant à un faubourg,
situé sur la rive droite du Diala, où se trouve un superbe
caravansérail. Ceux de ces édifices qualifiés du
nom de caravansérails-châh, reçoivent gratis les voyageurs;
d’autres, appartenant à des particuliers, sont
ouverts à ceux seulement qui payent une rétribution,
très-faible il est vrai, au Dalân-dar ou portier.
Le caravansérail-châh de Khanè-Kine est situé au
milieu d’une place environnée de baraques tenant lieu
de bazar. C’est l’emplacement où se presse toujours
en foule la population pillarde des districts environnants,
Kurdes et Arabes. Le Djaf1 y coudoie le Sind-
' Le Djaf esi une tribu arabe, fort nombreuse, dépendante de la
Turkie, et composée de vingt-cinq mille familles , qui se re tiren t
pendant l’hiver dans les plaines de Sulimaniah e t du Zohab. Quand
arrive l’été, elles émigrent vers les montagnes d’Ardélan. De
toutes les tribus Kurdes, celle du Djaf est la plus belliqueuse e t
la plus indisciplinée.
Les Sindjavis appartiennent encore à la race kurde e t dépendent
de la Perse. Tantôt ces Arabes campent au milieu des montagnes
de Kermanchâh, tantôt ils se dirigent sur les plaines
qui longent la frontière Turke. C’e st tout au plus si l’on compte
parmi eux deux paille familles.
On désigne sous le nom de Bakhtiari une nombreuse tribu
persane dont les villages s’étendent au centre des montagnes,
entre Shusler e t Ispahan. Strabon en parle et les appelle
Hv.ziayopzis. Dans le langage cunéiforme on les nomme Palis-
khuris. Leurs moeurs e t leur langue n’ont presque pas varié
depuis le règne de Cyrus. Ju sq u ’en 1840, les Bakliliaris
avaient conservé leur indépendance, mais à cette époque le