
dans ma chambre, en ma présence, et je me comportai
avec eux comme un pacha à trois queues du
xve siècle. Il m’était permis, en toute justice, de me
donner cette petite satisfaction d’amour-propre pour
me dédommager de leurs nombreuses grossièretés,
et cette vengeance était bien modérée, puisque j ’aurais
pu, en disant un mot au gouverneur général, les
faire mettre sous le bâton. Les visiteurs ne se formalisèrent
point de l’arrogance que je leur montrai :
à leurs yeux c’était mon droit ; j ’en usais, rien de plus
naturel. Ils n en eurent que plus d’estime pour moi,
et s’adressèrent à mon domesliquè qui, tout en les
traitant comme de la racaille, voulut bien cependant
leur répondre et se montrer plus sociable. « Qui l’au-
« rait pensé, lui disait l’un, que c’était un Frengui
« (Européen), un général, sous ces haillons arabes dont
« je ne donnerais pas deux chahis?— Je vous le disais
« bien, ajoutait un autre, qu’il avait les manières d’un
« seigneur et que vous aviez tort de le molester. — Il
« faut convenir, conlinuait un troisième, que les Euro-
« peens sont de singuliers personnages : chez nous, un
honime qui possède 20 tomans (240 francs) a la eon-
« viction de ce qu’il vaut; il prend des domestiques et
« affiche raisonnablement tout le luxe et la grandeur
« que comporte une pareille fortune ; pourquoi ceFren-
« gui que nous voyons maintenant vêtu d’un habit cha-
« marré d’or, et avec une décoration en diamants, a-t-
« il vécu parmi nous depuis Téhéran comme un fakir,
« comme un homme de rien? Mais cela est inconve-
« nant, déloyal, perfide et contraire à toute espèce de
« règles; c est exposer les gens à des méprises dés-
« agréables, à des quiproquos dangereux, etchacun de-
« vrait être tenu de voyager avec le train que néces-
« site sa position, sans qu’il lui fût permis de le dissi-
« muler.» Puis ceux qui se savaient les plus coupables
envers moi suppliaient Sadeuk de calmer mon ressentiment;
d’autres, ayant des affaires litigieuses, le
priaient d’obtenir mon appui et ma recommandation. *
Mon domestique répondait à tous, promettant monts
et merveilles à ceux qui lui faisaient des présents, et
disant de repasser plus tard à ceux qui ne lui donnaient
rien. Il entendait le système persan à merveille,
mais ses protégés n’eurent pas plus à se louer
de son intervention que je ne l’eus moi-même de sa
fidélité, ainsi qu’on le verra plus tard.
Les muletiers, subissant à mon égard la même transformation
qui s’était opérée chez les pèlerins, vinrent
dans la soirée me demander mes ordres pour l’heure
du départ. Profitant des attributs de mon rang, je voulus
en user jusqu’au bout; je déclarai donc, au grand
déplaisir du Séyid conducteur, dont le pouvoir ne venait
.plus maintenant qu’en seconde ligne, que la
marche de nuit était supprimée et que nous ne partirions
plus qu’aux premières lueurs du crépuscule :
c’est en effet ce qui eut lieu.
Dèh-Roud.— 23 mai.— 5 farsangs, trajet de six
heures et demie. Cette étape n’est qu’une longue promenade
sur un chemin sablonneux, plat et facile,
à travers des jardins, des cultures et des villages parfaitement
arrosés, se succédant presque sans interruption
sur les côtés de la route. Je n’avais pas encore
trouvé en Perse une semblable richesse de végéta