
Depuis le pâtre jusqu’au fonctionnaire du rang le
plus élevé, tout le inonde a un libre accès près de Yar-
Méhémed-Khan; il consacre six heures de la journée1
aux réclamations de ses sujets et fait toujours prompte,
bonne et sévère justice. On peut maintenant traverser
en tout sens la principauté sans éprouver aucune
crainte ; les moyens de répression qu’il a employés,
pour la purger des voleurs, ont été si terribles, qu’aujourd’hui
il ne s’en trouve plus un seul. Lorsque par
hasard quelque chose se perd sur la route ou à travers
champs, nul n’ose ramasser l’objet perdu; le premier
qui le découvre s’empresse d’aller faire sa déclaration
à l’autorité la plus rapprochée, et celle-ci recherche
aussitôt son propriétaire pour le lui rendre. Cette sécurité
des routes, dans le district de Hérat, est un fait unique
dans ce genre parmi les nombreuses principautés
de l’Asie centrale, qui ne sont peuplées que de pillards.
Les Hératiens, qui ne se souviennent pas d’avoir vu
un ordre semblable régner dans leur pays, font des
voeux pour que le Yézir-Saheb règne longtemps sur
eux : ils ne lui reprochent qu’une seule chose,
c’est d’avoir augmenté l’impôt et monopolisé toute
espèce de revenu. Il donne en apalthe jusqu’au raccommodage
des vieux souliers; il n’y a pas un seul
corps d’état qui soit exempt de payer quelque chose
au gouvernement. Cependant le Vézir-Saheb sait
plumer la poule sans trop la faire crier; il a pris à cet
’ C’est là une mesure fort sage, car, chez les peuples orienta
u x , rien n’est plus populaire qu’un derbar, dans lequel les
grands personnages, comme ceux qui sont d’un rang inférieur,
peuvent contempler le visage de leu r souverain. — D. S.
égard des leçbns des Anglais et il en a très-bien profité.
Son avidité pour les richesses est grande-, et pourtant
il n’est point avare avec ses serviteurs, - car
je les ai toujours entendus louer sa générosité ; mais
il est ladre au suprême degré avec ceux dont il n’attend
aucun service. Depuis qu’il a détrôné Châk
Kamràne, il s’est entouré des plus grandes précautions
pour protéger sa personne contre ses ennemis. Six
cents hommes gardent jour et nuit sa maison qui pourrait
être aisément protégée par un piquet de trente
serbas. Mille hommes au moins l’accompagnent quand
il sort de la ville, et un sergent musulman, d’origine
indienne, instructeur de ses troupes, ayant toute sa
confiance, couche la nuit en travers de sa porte et
lui présente entre deux plats cadenassés ses repas du
matin et du soir. Le Sertip La’l-Méhémed-Khan ou son
frère, le colonel, restent la nuit dans son logis, armés
de pied en cap, tandis qu’un cheval sellé piaffe dans la
cour, prêt à tout événement. Enfin les précautions
les plus minutieuses sont prises par Yar-Méhémed-
Khan pour parer à toutes les éventualités.
Le Vézir-Saheb appartient à la tribu des Ali-Kiou-
zéhis; avant son père, qui a été gouverneur du Kach-
mir sous le règne de Châh-Mahmoud, sa famille n’avait
point d’antécédents politiques; il est même le seul
qui ait marqué dans sa tribu jusqu’à ce jour. Doué
d’une grande fermeté et possédant de vastes capacités
administratives, il a déployé, dans toutes les circonstances,
un courage, un savoir et une habileté qui
le placent au premier rang parmi les souverains
afghans. S’il fût né sur les marches du trône, c’eût été H 20