
sur les desseins qui m'avaient amenés à Hérat. En
effet, que pouvais-je faire ou dire qui pût échapper
à la surveillance du chef supérieur de la police et de
ses employés? On avait d’abord eu l’intention de me
loger dans la résidence royale de Tchahar-Bagh, située
au centre de la ville; mais la crainte que j'y fusse
trop libre et à portée de nouer quelque intrigue avec
le dehors, avait fait abandonner le projet *. On me
donna pour logement, dans la maison du Sertip, une
petite chambre, située au premier étage et ouverte
sur la cour seulement. Dans cette cour campaient,
quand j ’y arrivai, quinze serbas qui restèrent là pendant
tout le temps que je demeurai chez La'l-Méhé-
rned. Le sabre du Sertip avait été accroché à leurs
fusils rangés en faisceaux pour me faire honneur. En
voyant ces dispositions et le ton bienveillant avec lequel
onme parlait, je crus d’abord que ce détachement
n'avait été placé là que pour me faire honneur; mais
à l’active surveillance dont je fus l'objet, je ne tardai
pas à comprendre que je n'étais qu’un prisonnier honorablement
traité. Je m'étais présenté à Hérat sous
ma véritable qualité de Français, et je pensais avoir
suffisamment prouvé ma nationalité en montrant les
fermans que j'avais reçus de Méhémed-Châh, mais
pourtant je n’étais pas cru : l’on persistait à me consi-
1 Le Tchahar-Bagh avait été la résidence du Châh-Zadèh-
Hadji-Firouzoud-din qui, pendant quelque temps, gouverna Héra
t. Les bâtiments étaient dans un état de complet abandon, à
l’arrivée de la Mission ; mais le major d’Arcy Todd les fit r é p
a re r e t les maintint en bon état. Hadji-Firouzoud-din était le
grand-père du Châh-Zadèh-Méhémed-Youssouf,gouverbeur actuel
de cette ville. — L.
dérer comme un Anglais chargé d’une mission secrète
pour l'Afghanistan. J’avais beau protester contre
cette étrange pensée, rien ne pouvait convaincre les
Hératiens. Ils imaginaient que je voulais faire comme
Eldred-Pottinger, quand il vint défendre la place
contre les Persans; plusieurs mois se passèrent avant
qu’il avouât son identité, et il se disait médecin musulman
d'origine indienne ’. Yar-Méhémed-Khan avait
ordonné qu’on ne me perdit pas de vue un instant
et qu’on lui rapportât toutes mes paroles : cependant
il ne voulait pas que ma liberté fut trop restreinte,
et, par son ordre, l’on me montra toujours beaucoup
de déférence et d’égards. Des vivres m’étaient fournis
en quantité raisonnable ; je pouvais aller visiter
sans escorte les lieux qui attiraient ma curiosité, de
même que les grands de la principauté, mais non pas
tous indistinctement. Je ne voyais que ceux dont le
Vézir-Saheb ne redoutait pas l’opposition, et il n’était
également permis qu’à ceux-ci de venir me visiter.
Yar-Méhémed les y encourageait, même, dans l’espoir
que je laisserais percer dans la conversation quelques
indications sur mes desseins secrets; mais, en dépit
i Pottinger, déguisé en musulman indien, habita pendant quelques
jours dans un caravansérail à Hérat avant d’ê tre reconnu
po u r un Européen. Je me rappelle qu’ij me raconta avoir ete, un
certain jour, tandis qu’il marchait dans un bazar, touché au bras
p ar un homme qui murmura à son oreille en langue hindoustanie :
«V o u s êtes Anglais! » e t lorsqu’il se re to u rn a , il reconnut
Ekim-Méhémed-Hussein. Cet homme avait accompagné Arthur
Conolly à Calcutta, e t après avoir été élevé dans cette ville par
les soins de M. Tyller, au collège médical, était revenu à Hérat
po u r pratiquer la médecine. Il offrit sur-le-champ ses services
à Pottinger e t se montra très-utile. — L.