
Auparavant, la campagne qui environne Semnànne
produisait qu’une médiocre récolte, pouvant à peine
suffire, pour trois mois, à la consommation de ses habitants;
mais aujourd’hui, grâce au sage aménagement
des eaux, elle leur procure abondamment tout ce qui
leur est nécessaire, et leur donne même du superflu.
Semnân me paraît être le lieu où Alexandre atteignit
rarrière-garde de Bessus et la tailla en pièces, le
cinquième jour après avoir quitté Rhaguès. Ce que dit
Arrien à cette occasion confirme l’opinion déjà émise
plus haut que les Macédoniens marchaient dans la
plaine. Voici du reste, ses propres paroles : « Prenant
« ensuite les troupes qu’il avait laissées en arrière,
« Alexandre marche vers l’Hyrcanie (le Mazendèran),
« située à gauche du chemin qui conduit dans la Bac-
« triane. Ce pays n’en est séparé que par de hautes
« montagnes couvertes de bois, et s’étend à l’opposite
« jusqu’aux bords de la mer Caspienne... » Et, un
peu plus loin, dans le même livre III, chapitre vm :
« Alexandre franchit les premières hauteurs, et il y
« campa... » C’était donc la première fois qu’Alexandre
s’engageait dans les montagnes depuis sa sortie
de Rhaguès; jusque-là il avait suivi la plaine, ce qu’il
n’aurait pas pu faire s’il fût allé franchir lesPylesCas-
piennes du côté de Firouz-Kouh. Or, comme tout le
pays situé au sud des montagnes de l’Hyrcanie, par
lequel passe la route de la Bactriane, qu’Alexandre
avait suivie jusque-là, est un pays de plaines, et que ce
n’est qu’après avoir atteint l’arrière-garde de Bessus
que le roi s’engagea dans les montagnes, il n’y a plus
aucun doute à conserver sur la route que prit le héros
macédonien, et, en suivant le récit d’Arrien, sa
marche peut être indiquée pas à pas.
Notre caravane campa hors de Semnân, dans les
ruines d’un caravansérail-châh. Dans l’après-midi, j’allai
m’approvisionner à la ville, et, n’étant pas connu
des habitants, qui ne pouvaient se douter de ma qualité
d’Européen sous mon déguisement, je me hasardai
à aller faire mon repas dans un bazar retiré,
où il y avait toute probabilité que les pèlerins de
notre caravane ne viendraient pas me relancer.
Dans cette pensée, je m’installai sans façon dans la
boutique d’un kebabdji (rôtisseur), à côté de trois ou
quatre gastronomes aborigènes, buvant dans leur
verre et faisant toutes choses qui ne sont pas habituellement
permises à un chrétien. Personne ne paraissait
disposé à me déranger, et, pour dissiper les soupçons
que l’on pouvait concevoir, je me mis entièrement à
l’aise et fis même quelque peu l’important. Mais à
peine avais-je absorbé ma portion de rôti, que je vis
tout a coup apparaître vis-à-vis de la boutique le Sévid,
conducteur de notre caravane. Me voyant là, il ne put
retenir son indignation, et apostropha le kebabdji en
ces termes : « Merd-kél (oh ! homme ! ) penses-tu que
la bénédiction de Dieu puisse descendre sur ta maison
quand tu la rends l’asile des infidèles ?» A l’aspect
du descendant du Prophète, tous les consommateurs
se levèrent, et, se regardant les uns les autres, ils
semblèrent se demander qui pouvait leur attirer une
semblable réprimande. Comme je ne bougeais pas de
place et que je continuais à attaquer le fromage que
j’avais entamé, avec l’appélit d’un homme qui n’a