
pectives, afin de les redresser à temps, ou de les raffermir
sur le bât. Si l’une d’elles tombe, ou si le mulet
s’abat, trois hommes restent en arrière pour le remettre
sur pied et recharger, puis ils regagnent
promptement leur rang dans la caravane qui a continué
de marcher. La place fixe du djilo-dar est habituellement
en tête de la colonne, mais de temps en
temps il se porte sur les derrières et sur les flancs,
pour voir si ses subordonnés sont à leur poste et donnent
des soins suffisants aux marchandises qu’il leur
a confiées. La surveillance doit être active, constante,
car le caravanier a souvent de cinq à six cents bêtes
de somme à diriger, et il importe à sa considération
comme à son intérêt qu’aucun dégât, aucune avarie,
ne surviennent par sa faute. Toutes les fois qu’il juge
à propos d’arrêter la caravane pour laisser souffler ou
uriner les mulets, ou bien pour ralentir la marche
dans les endroits dangereux et difficiles, il pousse un
grand cri, qui est répété dans chaque peloton, et dont
les modulations indiquent la nature de l’ordre qu’il
transmet. Quand les pelotons sont en marche, ils laissent
entre eux un intervalle de trente à quarante pas.
Les ser-nichine, ou voyageurs peu fortunés qui louent,
pour leur transport, des mules déjà chargées d’un
demi-fardeau, marchent ordinairement avec le muletier
auquel ils ont loué leur monture. Chaque ka-
terdji a pour lui et ses aides un âne que l ’on monte
tour à tour; lorsqu’ils sont fatigués de marcher,
ou quand ils veulent dormir, ils appuyent alors le
ventre sur le b â t, en laissant pendre la tête et
les pieds de chaque côté, sur les flancs de l’animal ;
les mains traînent par terre ou sont ramenées sous
le ventre, dans la même position qu’un sac de farine,
etils dorment dans cette position aussi bien que dans le
meilleur lit du monde, sans éprouver la plus légère
suffocation et sans craindre le moindre accident. Il
leur arrive de temps en temps, pourtant, de tomber
la tête la première sur les cailloux, dans la boue, et de
s’écorcher la figure, mais ils ne se découragent pas pour
une.pareille bagatelle. Les caravaniers sont habituellement
très-portés à remplir exactement les rites extérieurs
de leur culte, ce qui n’est pas une preuve de
leur moralité, mais bien plutôt de leur hypocrisie.
Pour mon compte, je suis convaincu qu’ils s’adressent
à Dieu beaucoup plus pour le prier de les favoriserdans
leurs coquineries, que pour lui demander de les diriger
dans la voie du bien. Quoi qu’il en soit, rien n’est plus
curieux, quand arrivent les heures de la prière, que de
voir ces hommes courir alternativement en avant pour
remplir ce devoir religieux, avant que la caravane
ne les ait rejoints. Il arrive souvent qu’ils ne trouvent
pas d’eau pour leurs ablutions, ils la remplacent
alors par une poignée de terre dont ils se frottent les
mains et la figure, et ils se croient ainsi purifiés. Ils
récitent ensuite leur namaz, comme le feraient des
perroquets, dans une langue qu’ils ne comprennent
pas; mais pour eux comme pour nous, « il n’y a que
la foi qui sauve. » Dès qu’ils ont accompli avec exactitude
ce semblant de devoir, et qu’ils ont jeûné
pendant le Ramazan, toutes les friponneries et les
infamies les plus noires leur paraissent permises, sans
qu’ils aient à en rendre compte, ni dans ce monde, ni
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