
si je me présentais dans leurs États sous ma véritable
qualité. Il m’engagea, en conséquence, à dépouiller
l’incognito avec eux, afin d’éloigner les soupçons
qu’ils pourraient avoir sur mes desseins. Ramenant
ensuite la conversation sur son propre pays, il me
témoigna le regret qu’il éprouvait de le voir aussi
mal administré ; combien il regrettait que son neveu,
Méhémed - Châh, adoptât sans examen les théories
absurdes de son premier ministre, auquel il n’épargna
aucune espèce d’épithète blessante et injurieuse; enfin,
pour me donner une idée des mauvais termes dans
lesquels il était avec lui, il me conta quelques-uns
des vilains tours qu’ils se jouaient réciproquement ;
j’aurai occasion de les relater autre part.
A près avoir pris congé d’Assaf-Dooulet, j’allai visiter
son fils de prédilection, Méhémed-Hassan-Khan, plus
généralement connu sous le nom de Salar, qui est
celui du grade de général en chef, dont Feth-Ali-Châh
l’avait investi quand il n’était encore qu’un enfant au
berceau. Il était sur le point de monter à cheval pour
se rendre dans le district de Koutchan, dont il est gouverneur,
et je n’eus que le temps d’échanger avec lui
quelques paroles de politesse. Ce prince me parut
avoir de trente-cinq à trente-six ans : c’était un assez
bel homme, aux manières franches et ouvertes, ressemblant
beaucoup, physiquement, à son cousin Mé-
hémed-Châh, mais ne pouvant dissimuler, quelque effort
qu’il fît, cet air de morgue habituel aux Persans;
à cela près, je le trouvai d’une politesse irréprochable.
Il est très-aimé de la population khorassanienne,
et cela parce qu’il possède une qualité rare dans sa
famille, il est généreux et paye largement ceux qui
le servent; les infortunés ne s’adressent jamais vainement
à lui : c’est là le plus sûr moyen de se faire des
. partisans en Perse, aussi Salar en a-t-il beaucoup.
En rentrant au caravansérail, je trouvai dans me
chambre une de mes anciennes connaissances de Té-
briz, Mirza-Méhémed-Nouri, précédemment intendant
du prince Karaman-Mirza, après la mort duquel il
était passé au service d’Assaf-Dooulet. Il m’apportait
divers présents de la part du gouverneur général :
c’étaient des sucreries, des fruits, des sorbets, etc.
Les politesses de eette nature sont très-appréciées par
les Persans, surtout quand elles viennent d’un homme
aussi haut placé et aussi éminent que l’était Assaf-
Dooulet.
Les pèlerins de notre caravane, qui m’avaient pris
jusqu’alors pour un misérable Grec ou Arménien,
avaient été bien étonnés en me voyant sortir du caravansérail
vêtu en uniforme d’officier général; ils le
furent encore bien davantage quand ils apprirent que
j’avais été admis en audience particulière par le gouverneur
et lorsqu’ils virent les présents qu’on m’apportait
de sa part. Ce fut, dès ce moment, une suite
non interrompue de visites, de compliments, de flatteries
et de basses adulations ; mais j’éconduisis,
comme ils le méritaient, les drôles qui me les adressaient,
réservant seulement, pour ceux qui s’étaient
le moins mal conduits à mon égard, ce ton d’impertinente
supériorité que savent si bien prendre les
Persans avec les gens placés au-dessous d’eux dans la
hiérarchie sociale. Je ne leur permis plus de s’asseoir