
Depuis Mussella, sur une grande étendue qui côtoie,
au nord-ouest, le pied des montagnes, on rencontre
d'immenses ruines d’édifices, de mosquées, et des
tombeaux: ces derniers surtout abondent et sont très-
vénérés des Hératiens. Quelques-uns ont de vastes
dimensions, mais le plus^grand nombre sont indiqués
par des pierres accumulées à une grande hauteur et
sans symétrie, les unes au-dessus des autres. Une
longue perche , plantée au centre et surmontée d un
chiffon de linge, tel est le seul indice qui révèle aux
passants qu’un saint personnage est enterré sous ce
tumulus. Les pierres disparaissent quelquefois sous
l’innombrable quantité de guenilles que les dévots
y accrochent, comme une offrande au saint dont ils
réclament les bons offices. Quelquefois aussi elles
s’écroulent sous le poids des énormes cornes de bouc
sauvage qu’on y dépose pour honorer sa sainteté :
cette dernière offrande est le signe le plus grand de
resp'ect et de vénération qu’on, puisse donner à la
mémoire d’un mort dans l’Afghanistan.
Du reste, la population de ce pays est* très-accommodante
en fait de sainteté, et elle en délivre
le certificat avec une facilité qui prouve toute l’indulgence
dont elle a elle-même besoin pour se
faire pardonner les infamies qu’elle commet à chaque
instant. Il suffit qu’un Afghan voie un amas de pierres
accumulées dans un endroit, des guenilles ou bien
des ruines, quelque chose enfin qui puisse donner
lieu à une interprétation quelconque, pour qu’il
se figure que là est enterré un saint personnage. Dès
que l’idée lui en est venue, il ajoute quelques pierres
et la perche de rigueur au tas déjà formé; d’autres,
qui viennent après , l’augmentent encore, puis,
quand cet amas de pierres a atteint de respectables
dimensions, il devient en vogue dans la contrée, et'
l’on s’y porte de toutes parts en pèlerinage. Quant à
l’affaire d’une légende, c’est la chose la plus facile du
monde : le Mollah dont l’habitation est la plus voisine
du saint lieu en fabrique une qu’il prétend lui
avoir été révélée en songe, et tout le monde y croit ;
la foule accourt et lui procure des bénéfices qui continuent
jusqu’à ce qu’un autre saint, de date plus récente,
vienne lui enlever son crédit. 11 suffit aussi
qu’un chef ait été enterré dans un tombeau un peu
plus remarquable que les autres par ses dimensions,
pour que ce tombeau devienne le rendez-vous
des dévots, bien que l’homme qui y repose ait été
quelquefois un scélérat fieffé; mais qu’importe? en
usant de sa puissance, il n’a fait que profiter de son
droit, et du reste la mort l’a sanctifié aux yeux de
ses sujets. C’est ainsi que Châh-Mahmoud et Châh-
Kamràne, qui furent des monstres de cruauté et de
perversité, ont été honorés après leur mort, par les
Hératiens, à l’égal des saints les plus révérés dans
l’Islam. La foule se presse chaque jour sur leur sépulcre
pour solliciter leur intercession près du Tout-
Puissant.
Entre Mussella et la ville s’étend, du nord à l’est,
et sur une longueur de six cents mètres environ, à une
longue portée de canon de la place, une colline factice
nommée Thallèh-Bengui, dont l’élévation peut être de
dix à douze mètres : elle forme un croissant dont les