
arrivâmes aux plus hautes sommités couvertes, par
places, de grands amas de neige; le froid était aussi vif
qu’en janvier dans les pays de plaines. Notre vue embrassait
de là toutes les montagnes de la Paropamisade,
qui me parurent sillonner la contrée en tout sens,
sur une très-grande étendue, les rameaux intermédiaires
se rattachant tous à deux chaînes principales,
l’une courant de l’ouest à l’est, l’autre du sud-
ouesl au nord-ouest. Quelques pics, aux dimensions
colossales, étaient jetés çà et là comme des sentinelles
perdues dans le pays, et étalaient aux reflets
du soleil levant leurs sommités et leurs flancs crevassés
recouverts d’une neige éclatante. Il serait certainement
impossible à une armée traînant quelques
bagages avec elle, de franchir la montagne que
nous venions de gravir, mais selon moi il n’en
est pas de même pour celles que nous avions
parcourues depuis Khoulm jusqu’à Korram ; l’artillerie
n’y trouverait pas de très-grands obstacles.
D’après ce qu’on m’a dit, il paraît que son passage
rencontrerait de [dus sérieuses difficultés du côté
de Bamian *. Toutefois, je ne pense pas que ces
difficultés soient insurmontables, et d’ailleurs nous
avons un précédent qui indique le contraire. Nader-
Châh, en revenant de l’Inde, fit passer sa grosse artillerie
par ces défilés lorsqu’il marchait à la con-
‘ Les officiers anglais du génie ont prouvé qu’il n ’était point
difficile de transporter de l’artillerie, de Bamian à Khoulm. Lorsqu’on
crut possible d e s’avancer contre la Bokharie, les capitaines
Slart e t Broadfoot reçurent l’ordre de se rendre dans les passes
de la Paropamisade, e t d’en faire la topographie exacte. Ed
quête de Bokhara; l’une des pièces, dont l’affût s’était
probablement brisé, est encore aujourd’hui
abandonnée et à moitié enterrée dans le sable entre
Serbagh et Korram.
Nous n’éprouvâmes aucun accident de quelque gravité
à la descente de la montagne au sommet de laquelle
nous venions de parvenir : la pente était rude, il est
vrai, mais le sol uni et sans obstacle. A neuf heures
nous arrivâmes dans une plaine où l’on voyait au loin
des tentes peu nombreuses de Hézarèhs Talars près
desquels Rabi alla se renseigner : bientôt après, il nous
ramena un nomade qui nous accompagna pendant
une heure pour nous indiquer dans le lointain le campement
de Kartehou, où nous arrivâmes un peu
avant midi. Le chef de cette horde était le parent de
Roustem, il se nommait Alayar-Beg. Ce fut chez lui
que nous descendîmes. Il fit aussitôt égorger un mouton
pour nous bien recevoir et exercer largement
envers nous les devoirs de l’hospitalité. Roustem
ne commença qu’après le repas à parler du motif
qui valait notre visite aux Hézarèhs Tatars ; toutefois,
il eut soin de ne rien dire de ma qualité d’Européen,
et je passai pour un négociant de Meched allant
trafiquer à Kaboul. Après nous avoir attentivement
écoulés, Alayar nous donna ses conseils : « La guerre,
« nous dit-il, ne fait que commencer, et cet état
« de choses n’est pas prêt à finir : à mon avis leshosti-
« lités se prolongeront jusqu’aux approches de l’hiver
« et ne cesseront que lorsque la neige aura rendu
« impraticables les passes de nos montagnes. Si
« vous voulez attendre jusqu’au printemps prochain