
en rendre un compte immédiat au gouvernement qui
les entretient à Meched, les autres pour offrir leurs
services à l’Angleterre, ou pour se plaindre de ce que
ceux qu’ils lui ont rendus n’ont pas été récompensés.
C’était une rude corvée de les entendre tous, de répondre
à leurs nombreuses et sottes demandes, mais
sans compter qu’il y avait beaucoup à apprendre avec
ces gens-là sur les choses de l’Asie centrale, il était
encore sage de renoncer aux usages d’Europe dans mes
rapports avec eux et de dépouiller cette fierté ridicule
qui est souvent prise pour de la dignité. Le cérémonial
et l’étiquette observés si rigidement par les Persans
contrastent tout à fait avec la rudesse qui caractérise
leurs voisins orientaux : la gêne et la contrainte dans
la conversation leur sont insupportables. Ils disent
leur pensée en des termes que nous trouverions très-
souvent blessants pour notre amour-propre, mais ils
consentent parfaitement à ce qu’on agisse de la même
manière avec eux. Veulent-ils tromper ou dissimuler,
un Européen n’est jamais leur dupe, parce que leurs
ruses sont grossières. Ces Asiatiques se visitent sans
se connaître, s’abordent sans façon et se lient en quelques
minutes ; agir autrement serait s’exposer à leurs
soupçons. C’est pour avoir su m’accommoder à leur
humeur que j’ai fait parmi eux des connaissances de
quelque valeur, qui m’ont permis d’obtenir les renseignements
que je consigne ici, et grâce auxquels j’ai
pu sortir vivant de l’Afghanistan.
Le lendemain de mon arrivée à Meched, je pus visiter
Méhémed-Weli-Khan, neveu et lieutenant (naïb)
d’Assaf-Dooulet et gouverneur de la ville en son absence.
C’est le même seigneur qui fut fait prisonnier
parlesTurkomans,quatre ans auparavant, et emmené
captif à Khiva, où M. Thompson, attaché de la mission
britannique, se rendit pour le délivrer, en 1842.
Comme la chaleur était déjà assez forte à Meched,
quand j’y passai, Méhémed-Weli-Khan me reçut vers
le soir dans un jardin situé à l’intérieur de la ville. 11
avait fait disposer des tapis et des fauteuils qui furent
placés au centre d’un rond-point environné de rosiers
et de jasmins en fleur, aux pieds desquels coulaient
de nombreux filets d’une eau fraîche et limpide. Dès
que nous eûmes pris place, on nous apporta des plateaux
remplis de fruits, des sorbets, des confitures, le
kalioun et du thé. Le naïb se montrait très-empressé
avec moi, et je vis bien qu’il voulait me faire conserver
une bonne opinion de sa personne. Il n’avait
besoin de faire aucun effort pour cela, mais à force
de s’observer afin de paraître aimable, il finissait par
trahir la gêne qu’il éprouvait en ma présence, ainsi que
la crainte de n’être pas apprécié à sa juste valeur. La
bravoure de ce chef est proverbiale en Khorassan, il
est cité aussi comme un bon administrateur, mais ce
n’était pas assez pour !ui que je le susse; il voulait encore
me persuader qu’il n’était étranger àaucune question
de haute politique, et il entra, à cet égard, dans
une foule de dissertations qui produisirent sur moi
l ’effet contraire à celui auquel il s’était attendu. Ce
qui me frappa le plus, c’est la prétention qu’il avait
de bien connaître la géographie de l’Europe, tandis
qu’il n’avait pas la moindre connaissance de celle de
son pays. Quand je lui appris que Mohamara, petite