
son de leurs moeurs hospitalières que nous taxerions
même de déréglées. Du reste, les Séhérahïs vivent
d’unemanière toute patriarcale,loin du bruit des villes,
n’en connaissant ni la mollesse ni les superfluités. Aux
yeux d’un homme civilisé leurs usages ont quelque
chose de sauvage qui choque au premier coup
d’oeil; mais on finit bien vite par s’y habituer, quand
on voit que tout en ignorant ce que nous appelons la
science du bien-être, ils n’en sont pas moins heureux
et exempts des tribulations que nous nous sommes
créées à force de vouloir pénétrer dans le domaine de
l’inconnu. La plus grande agglomération de tentes et
de maisons établies dans cette plaine se trouvait à
l’extrémité opposée du point par lequel nous y avions
débouché. Elle est placée au pied des montagnes
qui bornent le pays au sud, sur un petit plateau
couvert d’un massif d’arbres dérobant presque entièrement
à la vue la forteresse de Div-Hissar (du Géant),
dont une haute tour qui s’élève du côté du nord,
à son angle gauche, révèle seule l ’emplacement!
Nous vîmes au pied de ce plateau, avant de monter
au village, une espèce de temple à trois faces fermées
et complètement ouvert du côté de l’Orient,
contenant des idoles colossales en bois, grossièrement
sculptées et recouvertes de peaux de bêtes féroces,
provenant des offrandes faites par les chasseurs.
Pour me conformer à la coutume du pays, je m’in-
clinai sept fois devant ce gigantesque Jupiter et je me
rendis ensuite à la demeure de Timour-Beg, chef de
ce petit pays. Roustem lui porta la lettre du Kban de
Ser-Peul, qu’il baisa trois fois et porta quatre fois à son
front avant de la décacheter. Après l’avoir lue, ce chef
nous envoya une jeune fille assez jolie pour nous
engager à entrer : cette manière d’agir me surprit
beaucoup, parce que mon guide ne m’avait
pas averti que le sexe féminin est très-libre à Div-Hissar.
J’avais vu il est vrai les femmes à visage découvert
le long de la route, mais comme celles des
Turkomans ne se voilent point, j'en avais conclu
qu’il en était de même pour celles-ci, et je n’avais
pas poussé plus loin mes investigations.
Timour-Beg nous accueillit avec cette rude et
simple cordialité naturelle à la race tartare. C’était un
homme de trente-cinq à quarante ans, presque imberbe,
trapu et bâti en Hercule; sa figure était toujours
animée par un sourire indiquant la bonté. Le
type mongol, moins laid chez lui, il est vrai, que chez
ceux qui ordinairement ont la même origine, ne le
déparait pas du tout. Afin de nous bien recevoir, il fit
préparer un repas qui eût suffi pour rassasier trente
personnes ; la boisson était une espèce de cidre avec
lequel il finit par s’enivrer complètement. Quand nous
l’entendîmes ronfler, nous demandâmes aussi à nous
retirer pour en faire autant, et les dames Séhérahïes
qui nous avaient servi à dîner prirent la peine de
nous reconduire. Je fus d’abord étonné de voir celle
qui m’avait ramené chez moi, et qui, sans être très-
jolie, avait cependant des appas robustes et appétissants,
assister à ma toilette de nuit; mais je fus encore
bien plus stupéfait quand je lavis s’approcher de
moi, un bassin rempli d’eau dans les mains, me laver
les pieds, les jambes, et enfin me palper partout, me
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