
que nous subirons la suprématie morale de ces chiens,
nous resterons dans l'ornière et dans la crotte. »
Par mesure de prudence, je m’étais déterminé à ne
congédier Ivan que le jour même de mon départ;
mais m’étant aperçu qu’il m’avait volé dix tomans (en-
* viron cent vingt francs), je le jettai à la porte à coups
de bâtons et le remplaçai aussitôt par un autre Arménien
, nommé Melcom. Pour se venger de sa mésaventure
, le misérable Ivan se rendit chez le gouverneur
et lui signala mon passage dans la ville, le but
de mon voyage et le mystère que j’en faisais. Il pouvait
en résulter pour moi les plus tristes conséquences,
si le colonel Mahmoud-Khan ne me fût venu en
aide. Cet ami se porta garant de ma moralité et de
mes intentions, et je ne fus pas inquiété; cependant
je jugeai prudent de ne pas prolonger davantage mon
séjour à Hamadân, et je pressai le muletier, à qui
j’avais loué des bêtes de transport depuis trois jours,
de hâter son départ. Mais le gaillard n’était pas aussi
pressé que moi, et tantôt sous un prétexte, tantôt sous
un autre, il me manquait toujours de parole ; il fallait,
disait-il, attendre que tous les deslès (détachements)
de la caravane fussent prêts, ou que l’heure fût propice.
Une autre fois, c’était la douane qui nous retardait;
mais toutes ces raisons ne pouvaient me satisfaire,
et le 24 je lui demandai la restitution des arrhes
qu’il avait reçues, afin de les remettre à un autre
caravanier plus actif que lui. La nouvelle excuse qu’il
me donna me parut’ si péremptoire, que je ne pus
lui refuser un nouveau délai. Il me représenta que la
loi religieuse l’obligeait à coucher avec sa femme la
nuit du jeudi au vendredi, et que s’il négligeait ce
devoir, sa femme serait autorisée à réclamer le divorce.
Il n’y avait rien à dire à cela et je consentis à
attendre jusqu’au vendredi soir. Quel singulier livre
que le Koran ! C’est une législation complète, tout y est
prévu, indiqué, depuis les principes qui doivent former
la règle de conduite du souverain, jusqu’aux
détails de ménage les plus intimes ! Ainsi par ordonnance
de Mahomet, messieurs les musulmans doivent
contenter à jour fixe les appétits de leurs épouses;
c’était un bon moyen de prévenir les effets de la polygamie;
malheureusement la loi n’est pas toujours
strictement observée en Perse, où la majorité des
habitants, sans en excepter le clergé, délaissent le plus
souvent les femmes pour se livrer à l’ignoble débauche
qui attira jadis la colère du Tout-Puissant sur les
villes impies de Sodome et de Gomorrhe.
Ceux qui se proposent de voyager en Perse, ne
sauraient trop se prémunir contre les mensonges des
caravaniers, qui jurent toujours, par ce qu’il y a de plus
sacré, de partir à jour fixe et qui cependant vous font
toujours attendre plusieurs jours avant de se mettre
en route. Le mal est moins dans le retard qu’ils font
éprouver, que dans leur manie de venir prendre les
bagages à l’avance, de peur que Ton ne parte avec
une autre caravane. On se voit ainsi souvent forcé de
rester une semaine entière entre les quatre murs nus
d’un caravansérail, privé de tous les objets qui sont
nécessaires à un Européen. Le moyen de prévenir ces
inconvénients, c’est de ne rien payer à l’avance au
muletier jusqu’à ce qu’on soit arrivé à la première