
fois ivre je lui dévoilerais plus facilement les projets
cachés qu’il supposait à mon voyage en. Afghanistan,
et que rien n’avait pu m’arracher à jeun. A
son grand désespoir, cependant, je résistai comme un
homme dont le parti est fermement arrêté. Toutefois
il ne se tint pas pour battu, et, la seconde nuit, il
essaya de me vaincre pàr Vénus, n’ayant pu le faire
par le vin.
Les Afghans aiment beaucoup la danse des Alimèhs,
la musique et les chanteurs ; le Sertip avait recommandé
aux femmes et aux musiciens qu’il avait fait
venir de déployer pour moi toute leur science. Pourtant,
malgré tout ce que firent ces dames, dans la première
partie de leurs exercices, je restai froid et indifférent,
car je ne trouvais pas beaucoup de charme
à leur danse1 qui me parut lourde et ennuyeuse. Cette
chorégraphie se composait de marches ou traînées
de pieds en avant et en arrière, de poses plus ou
moins fatigantes, qu’accompagnaient des chants
amoureux assez discordants. Leur musique cependant
ne manquait ni d’harmonie, ni d’un certain mérite.
Si ce n’eût été une espèce de petite viole qui ne rendait
que des sons aigres et monotones, se reproduisant
toujours sur le même ton, j’eusse entendu les
autres instruments avec assez de plaisir. Le répertoire
> Je dirai en passant que, si les officiers européens de Kaboul et
de Kandahar avaient eu le sentiment de leu r responsabilité comme
chrétiens anglais, e t le désir de ne pas compromettre la dignité
e t l’honorabilité de leurs compatriotes, dans l’estime des peuples
chez lesquels ils ont habité, e t avec qui ils ont été mis e n .
contact, nous aurions pu éviter, à Hérat, un chapitre humiliant
dans l’histoire de l’A fghanistan. — L.
des musiciens était assez varié et se composait d’une
vingtaine d’airs que j’aurais écoutés avec plus d’attention
encore, s’ils n’eussent servi à accompagner les
chants d’une dizaine d’hercules afghans qui s’égosillaient
pour faire sortir de leur poitrine des sons tout
à fait rauques, sans rhythme ni cadence : celui qui
beugle le plus fort étant estimé par eux le meilleur
chanteur. La’l-Méhémed était désespéré de voir que
tout cela m’amusait si peu; tout à coup il donna un
ordre en langue puchtou (afghane), que je ne comprenais
pas, et, vingt minutes après, je vis arriver
une nouvelle bavadère, qui, suivant l’expression persane,
« resplendissait comme la pleine lune. »
C’était une des créatures les plus parfaitement belles
que j’eusse vues jusqu’alors. Elle fit son entrée avec un
certain air de dignité, et vint s’incliner devant le Sertip
et devant moi. Ceci fait, le cercle des spectateurs
s’élargit, et la nouvelle venue commença une danse
qui ne ressemblait en rien à ce que j’avais déjà vu
en Asie ; c’était tout ce qu’il pouvait y avoir de plus
extraordinaire et de plus échevelé; la malheureuse se
disloquait les articulations pour arriver aux poses les
plus passionnées. Joignant l’évolution des bras aux
contorsions du corps, elle arriva peu à peu à ôter ses
vêtements l’un après l’autre, et je crus un moment
qu’elle allait bientôt se montrer dans le léger costume
d’une insulaire de la Polynésie, mais heureusement
elle garda son jupon; le buste et les bras étaient
complètement découverts. Sa danse devint alors d’une
énergie frénétique, et ses gestes rendaient le délire
amoureux avec une violence d’expression qui m’éton