
elle n’est éloignée que de deux farsangs. A notre
gauche le Damavend étalait majestueusement son pic
couvert de longues traînées de neiges éternelles.
Hissar-Émir est un gîte où il est assez difficile de
s’approvisionner; on y trouve seulement du lait aigre
à acheter, non pas que le village soit pauvre, mais il
est la propriété du premier ministre Hadji-Mirza-
Aghassi, qui n’a pas l’habitude de pressurer les paysans,
ils sont donc assez riches pour pouvoir se passer
du commerce des comestibles. Nous campâmes à vingt
minutes du fleuve, et je ne pus jamais décider quelques
musulmans en guenilles, qui n’avaient pas le plus petit
morceau de pain à se mettre sous la dent, à aller remplir
mon bidon moyennant rétribution, tant ils craignirent
de se souiller en le touchant.
Hè'ivàne-Kièf, qu’on appelle aussi Uéivanak.—
5 mai. Les habitants du pays n’attribuent que 6 farsangs
à cette étape, mais on peut sans exagérer en
porter le nombre à 7. Nous mettons dix heures à les
parcourir par une route plate, dont la première moitié
est défoncée par un grand nombre de saignées que
les paysans ont pratiquées dans le Djadjè-Roud, rivière
qui coule à une farsang et demie à l’est d’Hissar-
Émir. On encaisse ses eaux, à sa sortie des montagnes,
dans des tranchées protégées par de petites levées de
gravier, dans lesquelles l’eau se partage également,
pour se diriger ensuite dans chaque village de la
plaine de Véramïn. Depuis la rivière jusqu’à la halte,
la route est facile et côtoie les monts Elbourz. Deux
heures avant d’arriver à Héïvanak, on passe à côté
d’une gorge couverte de bruyères, résidence particulière
de vautours : on les y compte par myriades, et
malheur à l’animal qui oserait se hasarder dans ce
coupe-gorge, il ne resterait pas vivant deux minutes :
son squelette deviendrait aussi net et aussi blanc,
après une heure, que s’il avait été exposé pendant dix
ans au soleil.
J’ai raconté, dans quelques-unes des pages qui précèdent,
la marche d’une caravane de commerce ; je
vais y ajouter, comme complément, certains détails
sur celle d’une caravane de pèlerins. D’abord le djilo-
dar n’arrive plus qu’en seconde ligne, et le commandement
supérieur d’une caravane de pèlerins est
exercé par un Séyid, auquel on obéit aveuglément. Ce
descendant du prophète parcourt, un mois ou deux
avant le départ, la ville et les villages, en invitant les
fidèles croyants à se réunir autour de son étendard
vert, pour aller visiter les saints lieux. Lorsqu’il a réuni
un nombre de personnes assez considérable, il en
passe la revue, perçoit quatre ou cinq sahebkrans
de chacune d’elles, et, moyennant cette subvention,
se charge de les conduire à bon port dans tous les
sanctuaires révérés des musulmans, qui sont à Me-
ched, à Châh-Abdoul-Azim, à Koum, à Kerbelah, à
Sammarah, au Kazemen et à la Mecque ; il leur promet
aussi de les faire descendre dans les meilleurs
gîtes, où toutes choses sont à bon marché, de les
préserver des effets du mauvais oeil, des tentations
du diable, des machinations des mauvais génies, de
se mettre en route sous d’heureuses conjonctions des
astres et jure, en un mot, de leur faire faire le pèlerinage
le plus heureux et le plus agréable à Dieu qui ait