
un noble coeur et un grand monarque qui aurait su
étendre et faire respecter sa domination; mais comme
il est parti de très-bas, il a été obligé d'être ce que sont la
plupart de ses compatriotes qui disent au pouvoir
suprême. Si l’on peut citer de lui quelques belles
actions, on peut aussi lui reprocher bien des crimes; et
ceci est d’autant plus regrettable qu’il y a dans ce chef
plus d’étoffe qu’il n’en faut pour faire un grand
homme.1;
En quittant le Vézir-Saheb, je me rendis dans la
citadelle que commande son fils aîné, le. Serdar Séyid-
Méhémed-Khan. C’était alors un beau jeune homme
de vingt à vingt-deux ans, ayant d’assez bonnes manières;
je le trouvai entouré des principaux chefs
du Hérat, qui lui font une cour assidue afin d’obtenir
par son intermédiaire quelques faveurs de Yar-
Méhémed-Khan, auquel il doit succéder. Par malheur,
ce jeune prince n’a pas su gagner les sympathies
des Afghans, qui s’accordent généralement à le
considérer comme un homme fier, orgueilleux, présomptueux
et incapable de diriger les affaires de leur
pays; tout fait donc supposer qu’à la mort de son père,
il rencontrera de nombreux compétiteurs pour lui
disputer le pouvoir; peut-être trouvera-t-il des adversaires
parmi ses propres frères, deux enfants en
bas âge, qui promettent d’avoir la vigueur et l’in-
* Sir John Mac’Neil fut irès-frappé de sa conversation avec ce
personnage lorsqu’il passa quelques heures avec l u i , au siège
de Hérat, dans une entrevue qui eut lieu à minuit. Il en parle
comme de l’un des hommes les plus remarquables de son temps
e t de son p a y s .— Ed.
telligencc de leur père. Yar-Méhémed-Khan a bien
essayé de rendre inattaquable la position de son fils
aîné en l’alliant par un mariage à une princesse d e là
famille actuellement régnante dans le Kaboul; mais,
quand on considère combien peu les liens du sang sont
respectés en Afghanistan, l’on peut en conclure que
cette parenté avec l’Émir Dost-Mohammed ne sauvera
point le Serdar Séyid-Méhémed-Khan de la chute qui
l’attend à la mort de son père, s’il n’est soutenu par la
Perse et par les Parsivans, dont le concours peut lui
assurer le succès en dépit de toute opposition.
Je reçus de ce jeune chef un accueil assez gracieux,
mais sa conversation me convainquit que les Afghans
n’avaient pas tout à fait tort de se défier de sa capacité
Il me montra un bel éléphant avec lequel il
jouait du matin au soir : c’était un présent que Mé-
hémed-Akbar-Khan, son beau-frère, venait d’envoyer
de Kaboul à sa fiancée Bobodjàne, fille aînée de Yar-
Méhémed-Khan.
Quand ma visite au Serdar Séyid-Méhémed-Khan fut
terminée, je me rendis chez Mirza-Nedjef-Khan, mï-
* Les ofticiers de la Mission avaient la même opinion de la capacité
de Séyid-Méhémed-Khan. Pendant une de ses visites à
Tchahar-Bagh, comme il exprimait le désir de connaître l’anglais,
un plaisant s’offrit à lui en apprendre une phrase. En
conséquence, il fit croire à ce prince que ce q u ’il allait lui dire
était tout simplement une manière de saluer à l’anglaise, e t lui
apprit ces mots : « Vous êtes un imbécile (Fou are a spoon.). »
Très-satisfait de savoir ces quelques mois, quoi qu’il d outât un
peu de leur signification, lorsqu’à son reto u r chez lui il rencontra
son père, Séyid-Mébémed lui dit : « Agir-be-adebina-bashad
(sauf votre respect), vous êtes un imbécile. »