
je restai quelque temps affaissé sous leur poids : mais
mon courage reprit bien vite le dessus : car j’avais
besoin d’être fort pour m’aider à supporter la grande
lutte que j’allais avoir à soutenir contre l’adversité.
Je descendis dans un caravansérail situé au sud de
la ville, en dehors de la porte de Châli-Abdoul-Azim.
Quelque soin que j’eusse pris de cacher mon identité,
je fus cependant reconnu pour Européen; mais,
comme on apprécia peu mon importance, eu égard à
la légèreté de mon bagage, j’échappai à toutes les
investigations. Dès que je fus installé dans une
chambre fort malpropre, j ’écrivis à l’un de mes amis,
le général Semineau, pour le prévenir de mon arrivée
et le prier de m’envoyer quelques livres et des effets
dont j’avais besoin. Les désagréments qu’il pouvait
s’attirer en venant me voir ne l’arrêtèrent cependant
pas, car, quelques instants après, il était près de
moi. 11 m’apprit certains faits qui me déterminèrent à
ne pas prolonger mon séjour à Téhéran. Le docteur
Jacquet, eh la discrétion duquel je m’étais lié, avait
écrit à un Européen habitant la capitale pour lui
annoncer mon arrivée à Hamadân. Heureusement,
il avait ajouté que, de là, je me dirigerais sur Tauris.
Mais l’on devait déjà savoir à la cour que j’avais suivi
une tout autre direction; il fallait donc me hâter de
faire perdre mes traces. La fortune me vint en aide,
car, dès le lendemain, une caravane partait pour
Meched, et son djilo-dar avait son logis dans le caravansérail
où j’étais descendu. Nous fîmes aussitôt
marché pour deux mulets, l’un pour me servir de
monture, l’autre pour porter mes bagages, à raison de
vingt-cinq sahebkrans l’un, et je quittai Téhéran, te
même jour, pour me rendre au rendez-vous général de
la caravane, situé à une farsang et demie de la ville,
dans le village dé Châh-Abdoul-Azim, où l’on arrive
par une route plate et facile. Cette localité est presque
une petite ville : on y trouve des bazars, de larges
rues plantées d’arbres et arrosées par des courants
d’eau vive, une habitation royale, des bains, un cara-
vansérail-châh et une belle mosquée, où est enterré
l’Imam dont elle porte le nom. C’est là ce qui fait la
richesse de cet endroit, car on y vient en pèlerinage de
tous les points de la Perse. Chaque vendredi, les pieux
habitants de la capitale y vont aussi faire leur
prière, et cette succession de visites procure de gros
bénéfices aux habitants. La ville est située au milieu
même des ruines de l’ancienne Rhaguès ou
Rheï. En quittant la capitale de la Perse, je laissais
derrière moi les dernières traces de la civilisation, et
je prenais mon essor vers ces contrées inhospitalières
qu’on m’avait représentées comme devant être mon
tombeau. Je m’avançais cependant sans inquiétude
et sans crainte, bien persuadé qu’avec du savoir-faire
et de l’habileté dans ma conduite, j’éviterais la catastrophe
qu’on m’avait prédite.
Je fis, dans la soirée, l’inventaire de ma petite fortune,
et je découvris encore quelques soustractions de
ce misérable Ivan, dont le but, j’en ai la certitude,
était, s’il fût resté à mon service, de m’assassiner dès
que nous aurions été éloignés de Téhéran, isolés de
tous ceux qui pouvaient s’intéresser à mon sort. Le
domestique qui lui avait succédé ne s’était engagé à