
antérieurement pour mon compte par mes domestiques
persans. Ces coquins-là me faisaient paver certaines
choses jusqu’au quintuple de leur valeur réelle,
et c’est là un vol qu’ils pratiquent toujours avec la
plupart des Européens qui habitent la Perse. Heureusement
je profitai de la découverte pour l’avenir.
Voyager en Perse sous nos véritables habits, protégé
par un Ferman royal, suivi de plusieurs domestiques,
est plus facile et plus confortable ; mais il faut alors
renoncer à s’initier complètement au caractère des
Persans. Les petites nuances qui sont la base de leurs
moeurs échapperont toujours à l’oeil de l’observateur
même le plus perspicace, car elles disparaîtront
derrière leur politesse exagérée et leur duplicité.
Pour arriver à bien connaître les Persans, je pense
que le système que j’avais adopté était le meilleur :
sans protection apparente, jeté au milieu d’eux sur le
pied de l’infériorité, hors des grandes voies de communication
habituellement suivies par les Européens,
ces hommes, dégagés en ma présence de toute gêne,
de tout respect, se montraient alors à moi tels qu’ils
étaient. La connaissance que j’avais de leur langue
me permettait d’apprécier la véritable portée de leurs
paroles, bien mieux encore que celui qui est obligé
de se les faire traduire par un drogman, lequel, le
plus souvent, en dénature le sens ou le rend très-imparfaitement.
C’est pour cela que sur une foule de relations
qui ont été imprimées de voyages en Perse
et dans l’Asie centrale, il y en a tout au plus deux
ou trois qui soient écrites de manière à donner une
idée de ce qui existe réellement dans ces pays.
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Les pèlerinages aux lieux saints sont pour les Persans
une affaire de mode autant que de religion :
quelques-uns même les accomplissent plutôt par hypocrisie
que par conviction; ils veulent être appelés
jffadjis, titre auquel donne droit seulement le pèlerinage
de la Mecque, et augmenter leur considération,
car le plus grand coquin, après avoir visité ces lieux
sacrés, passe aux veux de ses compatriotes pour un
homme qui s’est amendé. On ne lui parle qu’avec
respect, on le fait asseoir à la place d’honneur, il
jouit enfin de l’estime générale; mais, dans ce cas,
comme dans toutes les autres pratiques extérieures de
leur culte, les Persans sacrifient le fond à la forme :
c’est là le mauvais côté, et il l’emporte sur le bon. On
les voit partir en pèlerinage par centaines, sans avoir
l’argent nécessaire pour subvenir à leurs frais de
voyage ; mais cela ne les embarrasse en aucune façon
: leurs besoins sont minimes, et ils sont toujours
sûrs de trouver leur nourriture quotidienne, en allant
la demander, au nom de Dieu , de porte en porte ou
de tente en tente, près de ceux qui sont plus riches
qu’eux. En cela la religion musulmane est vraiment
édifiante, car il suffit d’être un de ses adeptes pour
recevoir d’abondantes charités, non pas avec ostentation,
comme cela se fait la plupart du temps en Europe,
où beaucoup de gens ont soin de faire consigner leur
générosité dans les journaux, mais avec une simplicité
qui rend l’aumône aussi agréable à celui qui l’accepte
qu’à celui qui la fait. La plus grande fraternité
règne dans les caravanes de pèlerins, les aliments que
l’un possède sont à la disposition de tous, et la vie est,