s’enrichir à leurs dépens, et faire croire au Châh, en
lui adressant un rapport mensonger, qu’il était un
serviteur brave, zélé et intelligent. Les pèlerins m’affirmèrent
que les Djafs, loin de piller les caravanes,
assuraient au contraire la sécurité de la route. Comme
ils occupaient un terrain contesté entre les deux empires
musulmans, ils avaient tout intérêt à en expulser
tous les perturbateurs, afin qu’on ne leur reprochât pas
les délits que ceux-ci pouvaient commettre. Bien plus,
ils avaient intégralement payé l’impôt; seulement,
comme Châh-Abbas-Khan avait voulu le doubler à son
profit, ils s’étaient refusés à ses étranges exigences.
Voilà ce qui venait de se passer à Ser-Peul, et cette
manière d’agir se renouvelle chaque jour sur tous les
points de la Perse ! Avec un pareil système, comment
ce pays pourrait-il se relever de sa décadence? Les
agents subalternes pillent et partagent le fruit de leurs
concussions avec les ministres, qui les maintiennent
en place parce qu’ils y trouvent leur profit. La partie
la plus malheureuse de la population, c’est-à-dire celle
qui vit de son travail, est toujours la plus maltraitée,
et lorsque ses plaintes arrivent au pied du trône,
elles sont transformées et défigurées au point de faire
passer ces malheureux pour des coupables. Ces plaintes
leur attirent toujours de nouvelles persécutions. Ne
trouvant justice nulle part, le peuple se la fait lui-
même, quand il en trouve l’occasion, et la longue
chaîne d’iniquités, dont il supporte le poids en silence,
se brise souvent par suite d’une tension trop forte :
de là de sanglants débats. Le Châh croit pourtant
son peuple heureux ! Pauvre Perse ! pauvres Persans !
Il y a quatre farsangs à parcourir de Kasr-Chirine
à Ser-Peul, et une caravane les franchit en cinq
heures et demie ; la route est aride, pierreuse, ondulée
et accidentée. Ser-Peul n’a qu’un mauvais caravan-
sérail-châh, occupé par la cavalerie persane qui n’y
reçoit pas les voyageurs : ils sont donc réduits à camper
à la belle étoile, exposés aux intempéries de la
saison. Une dizaine de huttes sont adossées à cet édifice
et servent dé boutiques à des bakals (marchands de
comestibles). Le Diala passe à côté du caravansérail;
on le traverse sur un pont qui donne son nom à la
localité. En arrivant àSer-Peul, nous nous trouvâmes,
à ma grande satisfaction, sur le territoire persan.
Kérend. —8 avril.—Sept farsangs, que l’on franchit
en onze heures et demie.
Après trois heures de marche à travers les prairies
d’une vallée rafraîchie par de nombreux cours d’eau
vive, nous laissâmes sur notre droite les hautes montagnes
du Louristan, couvertes de bouquets d’arbres
et couronnées de neige ; puis nous nous engageâmes
dans les montagnes nues et dépouillées qui s’élevaient
sur notre gauche. Elles étaient boisées seulement
sur les plus hautes sommités; quelques arbres de
haute futaie y poussaient çà et là, au milieu des taillis
et des broussailles; ce sont des chênes, des tilleuls,
des ormes, des hêtres et diverses variétés d’arbres
fruitiers à l’état sauvage. La route qu’il faut gravir
pour traverser la montagne est des plus difficiles,
et cela, moins à cause de sa pente rapide que de
la grande quantité de blocs de rochers et de- cailloux
qui- recouvrent le s o l, et ne permettent aux