
pour me débarrasser de leur importunité. Ils s’éloignèrent
en maugréant et je les entendis bientôt rendant à
Ivan, avec usure, la volée qu’ils venaient de recevoir.
Ils lui avaient à peu près arraché la moitié de sa barbe
lorsqu’il s’approcha de moi pour me supplier de le
tirer de ce mauvais pas. Je crus la leçon suffisante, et
je transigeai avec les créanciers. Ivan leur abandonna
un fusil auquel j’ajoutai 27 francs pour son compte, et
l’affaire fut arrangée. Nous partîmes aussitôt, éclairés
par un des plus magnifiques clairs de lune de l’Orient,
et nous traversâmes les plaines désertes qui, de tous
côtes, entourent la ville des Khalifes. Quelques ruines
et un village, placés à mi-chemin de Bakouba, attirèrent
seuls notre attention. Après neuf heures de marche,
nous arrivâmes, au point du jour, sur la rive
gauche du Diala, où l’on rencontre de belles ruines
répandues sur un vaste espace.
Les fortifications de la ville de Bagdad ont été construites
avec si peu d’intelligence et sont aujourd’hui
en si mauvais état, qu’il serait impossible d’y compter
pour garantir la ville d’une attaque un peu sérieuse.
La véritable défense, du côté de la Perse, est le Diala ;
et là, encore, la ville a un autre désavantage, c’est que
la rive droite de la rivière, par où déboucherait naturellement
l’ennemi, domine la rive gauche de 8 à 10
mètres. Cette rive est bordée de jardins remplis d’arbres
qui faciliteraient beaucoup les approches et le passage
de la rivière; il est vrai de dire que les défenseurs
de Bagdad pourraient d’abord s’y porter eux-mêmes;
mais le défaut d’un pont pour leur livrer passage,
dans le cas où ils seraient obligés de battre en retraite,
les obligerait à beaucoup de prudence avant de se
hasarder sur la rive droite.
Bakouba est une grosse bourgade, où l’on trouve
un bazar et une mosquée. Elle a certainement été antérieurement
d’une grande importance, car c’est là
le point où se relient plusieurs routes très-fréquen-
Iées; mais des guerres sanglantes et l ’apathie mulsul-
mane ont été cause d’une fatale dégradation dont elle
a très-peu de chance de se relever. C'est tout au plus
si Bakouba renferme aujourd’hui 7 à 800 maisons
habitées. Elle est entourée de nombreux jardins,
plantés de palmiers, d’orangers, de citronniers, de
grenadiers et de mûriers, et fournit chaque année
d’abondantes récoltes en céréales.
La caravane dont je faisais partie était arrivée
depuis plusieurs jours à Bakouba, fraction par fraction.
Le détachement avec lequel j’étais venu était le
dernier attendu pour franchir les quatre passages
dangereux qui nous séparaient de Kérend, première
station de la Perse. Rien ne nous empêchait plus de
continuer notre route et je m’en réjouissais, car les
retards pouvaient me créer des dificultés, et j ’avais
hâte de sortir de la Turkie pour me soustraire aux
ennemis qu’on pouvait me susciter de Bagdad. La
Perse, il est vrai, m’offrait peut-être encore moins de
sécurité, mais j avais plus de chances d’y dépister les
gens mal intentionnés vis à-vis de moi, en changeant
de direction dès que les circonstances l’exigeraient.
Notre caravane se composait de plus de 700 personnes,
la plupart pèlerins persans revenant de la
sainte ville de Kerbélah. Parmi eux se trouvaient la