
grand nombre de ces fous dépensent tout ce qu’ils
possèdent à rechercher la pierre philosophale : ils
sont convaincus que les Anglais l’ont découverte, et
n’attribuent qu’à cela la supériorité de leurs richesses.
Ils croient aussi que les monnaies d’or d’Europe ne
sont, dans le principe, que des jetons de fer frottés avec
une certaine préparation, et déposés ensuite dans l’eau
diabolique d’un puits ou d’une fontaine qui les métamorphose
en l’or le plus pur. Les Ekim-Bachis m’adressèrent
les supplications les plus vives pour que je
les initiasse à notre secret; mais je me bornai à leur
faire un discours sur l’humanité, le droit des gens et
l’économie politique, les assurant que c’était à cela et
à nos idées d’ordre et de justice que nous devions
l’abondance des biens qu’ils nous enviaient. Je dois
dire qu’ils ne me crurent point et qu’ils conçurent la
plus haute idée de mon talent diplomatique, admirant
l’habileté avec laquelle j’avais su éluder leurs questions
pressantes et répétées.
Les premières journées de mon séjour à Hérat se
passèrent à faire et à recevoir des visites. J’avais
demandé dès mon arrivée à aller présenter meshom-
mages à Yar-Méhémed-Khan, mais, sous le prétexte
d’une indisposition qui n’existait pas, il retardait
ma réception de jour en jour. En agissant ainsi,
il espérait apprendre, avant de me voir, quel était
le but de la mission politique dont il me supposait
chargé, et mon obstination à me renfermer dans
la première et seule version que j’eusse donnée depuis
plusieurs jours, lui faisait penser que j’étais un
homme très-rusé (zirinq) et bien cuit (busior poukhtè).
Malgré tout cela, le Sertip chez lequel j’etais logé
faisait tout son possible pour me faire supporter sans
trop d’ennui ma demi-captivité; il venait souvent lui-
même s’informer si ses serviteurs remplissaient convenablement
ses ordres à mon égard; il déjeunait
presque tous les jours avec moi. Sa conversation me
fournissait toujours de précieux renseignements qui
m’eûssent beaucoup servi si j’eusse é té , ainsi qu’il
le supposait, un diplomate déguisé. Quoique l’instruction
du Sertip fût bornée, ses appréciations étaient
habituellement justes et portaient le cachet d’un gros
bon sens. Ses manières étaient affables et empreintes
de bonhomie; je voyais qu’il désirait m’être agréable
et voulait aussi se faire pardonner la nécessité dans
laquelle il se trouvait de me faire surveiller. Son frère
et son secrétaire sondaient souvent mes dispositions
pour savoir si j’accepterais tel ou tel présent qu’il voulait
me faire, mais comme j ’étais bien convaincu que,
malgré ses heureuses qualités, il ne me ferait un
présent que dans l’esprit afghan, qui veut qu’on
donne un oeuf pour recevoir un boeuf, je repoussai toujours
les insinuations qu’il me fit faire dans ce sens,
et n’acceptai que son déjeuner, son dîner et quelques
charges de melons qu’il m’envoyait de temps en
temps. Je pouvais agir ainsi sans scrupule, sinon à
titre d’hôte, du moins comme prisonnier. Je ne me
départis jamais de ce système de réserve pendant tout
le temps que je restai en Afghanistan : ne jamais recevoir,
mais ne jamais donner; acheter moi-même
tout ce dont j’avais besoin, en tâchant d’être constamment
modéré dans mes dépenses, afin de ne pas exci