
connaît : on les désigne encore sous la qualification de
fal-zen (tireurs d’horoscopes), sous celle de kal-bir-
bend (fabricants de tamis), parce que leur occupation
principale est de fabriquer des tamis que leurs femmes
vont offrir de porte en porte, accordant par-dessus
le marché des faveurs qu’on obtient d’elles sans beaucoup
d’efforts. Contre l’habitude orientale, elles vont
a visage découvert; elles sont grandes, robustes et
d un teint presque bronzé ; malgré leurs dents blanches
et leurs chairs fermes, elles provoquent peu les
désirs. Lorsqu’elles cèdent à la tentation de la chair,
leurs maris, pères ou mères, paraissent y faire peu
d attention. Les noms de zingaris, gitanos, brindja-
ries, lambadies, gypsies, sous lesquels on désigne les
Bohémiens dans d’autres contrées, sont inconnus en
Perse. Ceux à côté desquels nous venions de nous
établir se livraient à divers exercices de saltimbanques,
au milieu de pèlerins ébahis et enchantés de la
bonne fortune à venir qu’ils leur prédisaient moyennant
quelques chahis.
A la tombée de la nuit, j’entendis tout à coup mon
domestique Sadeuk pousser de grands cris et accuser
les Bohémiens de lui avoir volé son havresac (kour-
gine) contenant, disait-il, pour près de 200 francs
d’objets à son usage, pendant qu’il s’était écarté un
moment. « Koroumsak (celui qui vend les faveurs
« de sa femme), les appelait-il, toukhm seg (fils de
« chien), comment la pensée a-t-elle pu vous venir de
« voler un homme dont le maître a reçu des confitures
« en présent d’Assaf-Dooulet?C’est là une action abomi-
« nable, qui vous fera écraser sous le bâton. Écoutez-
« moi bien, mar-laïfè (race de serpents) : que vos pères
« soient maudits (la'anel bè péder-toun), venins de
« vipère (zeher-mar) ! si après une heure, pendant la-
« quelle je vais m’éloigner, ce qui m’a été pris n’a pas
« été remis en place, je brûlerai vos pères (peder-tam
« mi souzounem).» Sans cette péroraison, j’aurais difficilement
cru au vol dont se plaignait mon drôle; mais
en le voyant exprimer son indignation avec tant de
violence, j’eus presque du remords de quelques soupçons
qui m’étaient passés par l’esprit, et je fis la sottise
de le plaindre et de lui promettre une compensation.
Il ne paraissait cependant qu’à moitié consolé,
mais ce n’était que pour mieux dissimuler sa friponnerie
; le misérable s’était d’abord volé lui-même pour
se rendre plus léger, afin que, lorsqu’il trouverait l’occasion
de me dépouiller, il pût fuir avec plus de facilité.
Cet habile jongleur, qui en aurait remontré aux
Bohémiens les plus habiles dans ce genre d’exercice,
avait, ainsi que je l’appris plus tard, enlevé son havre-
sac, qui était à côté de ma malle, sans que je m’en
fusse aperçu, ef était allé le mettre en sûreté chez
une de ses connaissances, un louti comme lui, qui habitait
le village de Turgovèh. Je ne puis trop le répéter
à ceux qui se proposeront de voyager en Perse,
s’ils prennent dans ce pays un domestique dont personne
ne se portera caution, ils exposeront plus que
leur argent, leur vie sera à chaque instant menacée.
Qu’ils se tiennent pour avertis !