
paraît avoir été adoptée de tout temps en Perse, mais
qui s’est généralisée pendant les guerres civiles du
dernier siècle; l’autorité était si mal affermie, le pouvoir
changeait de main avec tant de rapidité, que
les Khans persans n’en tenaient aucun compte. Ils
étaient à peu près souverains dans leurs fiefs, et leur
principale occupation était de se piller les uns les autres.
Comme les surprises étaient leur principal système
d’altaques, chacun d’eux s’enfermait dans des
murailles, afin de vivre en sécurité. Je vis de ravissants
effets de mirage en faisant cette étape, mais
j’étais malheureusement peu en état de les admirer,
car le poison que le scélérat d’Ivan m’avait administré
à Kermanchâh m’avait réduit à la situation la plus
fâcheuse. Les Mollahs, mes compagnons de voyage ,
étaient peu disposés à s’apitoyer sur ma débilité ; bien
au contraire, je les entendais me maudire à chaque
pas, et cela parce que les passants qui ignoraient la religion
à laquelle j’appartenais, et qui me voyaient vêtu
d’une redingote de drap, coupée à la persane, par laquelle
j’avais remplacé la chemise arabe, depuis que
j’étais souffrant, m’adressaient leurs salamaleks plutôt
qu’à eux qui faisaient la plus piètre figure sous leurs
habits crasseux et déchirés. Celui qui paraissait, parmi
eux, être le plus élevé comme position sociale, était
un gros sournois qui marmottait les sentences du Prophète
et les paroles divines dès que nous entrions
dans un village, ou bien encore quand des voyageurs
passaient à côté de nous. A la vérité il se taisait aussitôt
que nous étions seuls. En entrant dans Sahada-
bad, il faillit suffoquer de colère lorsqu’il vit que ses
momeries habituelles ne m’empêchaient pas être salué
avant lui par la population. Il n’osait pas s’atlaquer
directement à moi; aussi se retourna-t-il tout courroucé
du côté d’Ivan et lui dit-il : - - « Serviteur de
damné, quand donc ton maître infidèle cessera-t-il
d’accaparer les salamaleks et les laissera-t-il arriver à
moi, véritable croyant? »Puis, levant les yeux au
ciel, il s’écria : « Oh ! Dieu {ya Khouda) , quelle crotte
(;tché go) j’ai mangée en me mettant en route avec
ce fils de damné {peder soukhté). » Ses plaintes m’arrivaient
bien aux oreilles, mais j’avoue qu’elles me
touchaient peu et que j’éprouvais une secrète satisfaction
à froisser la vanité de ce fanatique musulman.
Hamadân.—n avril.—6 farsangs, dix heures de
parcours en traversant les monts Elevend.
Nous partîmes à minuit de notre gîte et nous contournâmes
d’abord le pic le plus élevé des montagnes
pour arriver aux passes. Une fois parvenus au sommet,
nous découvrîmes, au clair de lune* jusqu’aux
monts du Louristan, les contrées que nous venions de
parcourir les jours précédents, et qui se déroulaient
pittoresquement derrière nous. La montée fut rude à
gravir, et il ne nous fallut pas moins de deux heures
pour arriver au sommet : nous descendîmes ensuite
le versant opposé en cheminant au milieu du lit d’un
torrent presque à sec, dont le fond caillouteux et
rempli de blocs de rochers roulés, offrait à chaque
pas les accidents de terrain les plus dangereux : les
mules s’abattaient à chaque instant. Il faut etre en
Perse, où l’on fait si peu de cas de la vie d’un homme
et même de la sienne propre, pour s’exposer à se