
mosquée. Dès que le jour parut, nous rechargeâmes
nos chameaux, et, après avoir traversé une rue bordée
de quelques maisons délabrées et ruinées en 1838
par les Persans, nous débouchâmes sur une vaste
esplanade. Hérat nous apparut subitement avec sa
muraille trouée par les boulets et ses tours démantelées.
A la faveur de mon habit afghan, je franchis
la porte de la ville, étendu dans ma litière, sans être
reconnu; en voyant une caravane arriver sitôt, l’officier
de service parut un peu surpris, et demanda à
Hassan s’il m’avait laissé bien loin derrière lui; pour
toute réponse, le serbàne m’indiqua du doigt, juché
sur mon chameau. A mon aspect, le guerrier liératien
resta confondu, puis il se lamenta d’une façon déplorable.
« Grand Dieu ! disait-il, je suis un homme per-
« du; notre très-haut et très-excellent Yézir va me
« faire couper le col. Ma consigne était d’envoyer un
« naïb (lieutenant) à deux heures de la ville, pour
« prévenir ce Frengui de différer son entrée jusqu’à
« ce qu’une constellation heureuse eût été observée
« dans le ciel, et je devais faire tirer un coup de canon
« pour annoncer son approche. Dans l’ignorance où
« j ’étais de son arrivée matinale, je n’ai fait ni l’un ni
« l’autre; je suis un homme perdu ! » Ce malheureux
se désespérait au point d’attendrir un rocher. Je tâchai
de le rassurer, en lui promettant d’intervenir en
sa faveur près de Yar-Méhémed-Khan. Alors il se
calma un peu et se hâta de faire mettre le feu à la
pièce, remplissant ainsi au moins une partie de ses
instructions : puis il dépêcha des serbas dans toutes
les directions afin de donner l’alerte, et me retint
plus de vingt minutes à la porte, pour m’empêclier
d’aller descendre au caravansérail, ainsi que j’en
témoignais le désir. Je profitai d’un moment où
il s’absenta pour reprendre ma course, mais les
chameaux vont lentement dans les villes, et avant
d’avoir fait cinq cents pas, je voyais déjà les serbas,
prévenus à la hâte, accourir de toutes parts dans une
tenue tant soit peu négligée, mais-que mon arrivée
hâtive excusait sans doute suffisamment à leurs yeux.
L’un d’eux n’avait passé que sa robe par-de.ssus sa
chemise courte; du reste, il ne paraissait pas s’inquiéter
le moins du monde de la légèreté de sa tenue,
et tirant mon chameau par sa longe, il s’égosillait
pour lui faire faire place au milieu de la cohue de
mon escorte, laquelle, avant que je fusse parvenu
dans les bazars, se composait déjà de trois à quatre cents
serbas. Des officiers de divers grades m’abordèrent
successivement et me complimentèrent; puis, après
m’avoir promené à peu près dans toute la ville, ils me
conduisirent dans un logis qui m’avait été préparé
chez le Sertip La’l-Méhémed-Khan, par ordre du Yézir.
(Vézir-Saheb est le seul titre que prenne Yar-Méhé-
med-Khan, chef indépendant du Hérat.)
Le Sertip La’l-Méhémed-Khan, Kandaharien d’origine,
était de la même tribu, Ali-Kiouzéhi, que Yar-
Méhémed-Khan, et sa famille était depuis longtemps
attachée à celle de ce prince. Le père du Serlip avait
été maître des cérémonies d’A bd ullah-Khan, ancien
gouverneur du Kachmir et père du Vézir-Saheb. La
fidélité que cette famille garda toujours à ceux qu’elle
servit décida Yar-Méliémed à s’attacher le Sertip, et il