
jusqu’à ce jour, conservée pure de toute alliance étrangère
; le Cliâh avait donc intérêt à y faire admettre
ses parentes afin de la mieux dominer, et c’est effectivement
ce qui a en lieu.
Peu de jours suffirent pour améliorer ma santé, et
je profitai de ce bien-être, pour aller faire une visite
de remerciaient au docteur Jacquet, dont le logis était
à Chévérine, village situé à une demi-farsang d’Ha-
madân. En chemin, je rencontrai le colonel Mahmoud
Khan , ce qui me contraria beaucoup, parce
qu’il me connaissait depuis longtemps et pouvait révéler
ma présence en Perse; mais grâce à ma barbe
et à mon changement de costume, il ne me reconnut
pas. Je vis bien cependant qu’il cherchait dans son
souvenir à se rappeler qui j’étais, et dans quel lieu il
m’avait vu. Le soir, en retournant à la ville, je le rencontrai
de nouveau ; cette fois, ce gueux d’Ivan qui
me précédait, ivre-mort par suite des libations qu’il
avait faites à Chévérine, trahi1 mon incognito. En me
rejoignant, le colonel, après m’avoir fait de vifs reproches
pour avoir douté de sa discrétion, m’engagea
à aller le lendemain déjeuner avec lui dans son château
de Chévérine, ce que je fis exactement. Je vis là son
frère, Aman-Ullah-Khan, que je connaissais depuis
plusieurs années, et ses cousins Chéfl-Khan et Metel- >
Khan. Ces jeunes seigneurs, chefs de leur tribu, sont
des jeunes gens agréables , intelligents, et braves
comme Roustem ; Chéfi-Khan surtout passé pour un
homme remarquable parmi ses compatriotes. — Le
lendemain de cette invitation, Mahmoud-Khan me présenta
à son oncle Ferz-Ullah-Khan, comme un voyageur
européen qui allait à Téhéran, mais il ne lui dit
ni mon nom, ni le but dè mon voyage.
Le Sertip était un homme alors âgé de quarante à
quarante-deux ans, d’un tempérament maladif, chagrin,
morose, et qui cependant affichait beaucoup de
douceur et une grande politesse de formes. Lui et
ses neveux, passent pour être braves et déterminés.
Je trouvai chez cet homme un grand fonds de sagacité
et d’intelligence. Il m’expliqua les avantages et les
travers des civilisations de l’Europe et de la Perse en
établissant des comparaisons entre elles; aussi me
laissa-t-il confondu de trouver chez un homme, appartenant
à une nation que nous avons peut-être tort
en France de considérer comme ignorante, des idées
aussi justes et aussi sensées que celles que pourrait
émettre chez nous le penseur le plus distingué. Mais
ce qui m’étonna beaucoup, ce fut de le voir, un moment
après, renier toutes les belles maximes qu’il
venait de me cher, en conversant avec un de ses compatriotes
qui était survenu. Après le départ de ce
personnage, je lui témoignai mon étonnement de
cette rétractation si subite. (Kébouter ba kébouler,
gouch ba gouch) « Pigeon avec pigeon , faucon avec
faucon, me répondit-il; avec vous j’étais sincère :
parler le même langage à un Persan serait faire un
métier de dupe, car ce ne sont pas les lumières qui
nous manquent, mais la moralité. Chez nous un
homme droit et honnête passe pour un imbécile, tandis
que la coquinerie est considérée comme de l’intelligence.
» Voilà l’opinion que tous les Persans ont
d’eux-mêmes, bien que tous ne l’avouent pas aussi