
me livrer entièrement à leur bonne foi. Je trouvai
encore à cela l’avantage d’apprendre par lui, sur le
pays, des détails qu’il eût été impossible à un Persan
de me donner.
Ce qui me désolait le plus, depuis le jour de mon
arrivée à Nichapour, c’est que, dès qu’on avait su que
j’étais Européen, tous les objets que j’achetais me furent
vendus bien plus cher qu’auparavant, ce qui obligeait
à des sacrifices d’argent bien supérieurs à mes
moyens. Il en fut de même en Afghanistan1. Quand les
Anglais ont une fois parcouru une contrée de l’Asie,
ce pays est inabordable pour tout autre qu’eux : les
Orientaux les ayant vus jeter l’or à pleines mains pour
récompenser les plus faibles services, ou payer d’une
manière exorbitante des aliments presque sans valeur,
considèrent maintenant comme un droit acquis de
rançonner les Européens, quels qu’ils soient, qui
voyagent chez eux : il a failli quelquefois m’en coûter
cher pour avoir essayé de me récrier contre des
exigences déraisonnables.
Avant de partir, j’allai prendre congé de Méhémed-
Weli-Khan qui eut la bonté de me remettre une lettre
de recommandation pour le gouverneur de Teurbet-
Cheikh-Djam. Voici la traduction de ce document :
1 Dans certaines circonstances, des Russes et d’autres Européens
se-sonl faits passer pour des Anglais dans le Khorassan,
en refusant le Sursat et en payant largement. Notre excel*
lent ami Mollah-Mehdi, dont nous avons eu l’occasion de parler,
perdit une fois une somme considérable qui lui fut extorquée.
Pour faire honneur au caractère national anglais, on aurait dû
lui rembourser l’argent qu’il avait p e rd u .— L.
« Que le très-élevé, très-haut placé et très-valeu-
« reux Azi-Abd-ul-Rahim-Khan puisse toujours jouir
« d’une parfaite santé. Puis, j’ai l’honneur d’avertir sa
« haute sagesse qu’actuellement le très-élevé général
« Ferrier-Saheb, le compagnon de l’honneur, le pos-
« sesseur de la valeur et du courage, la crème des
« chrétiens, est envoyé en mission à Hérat. En consé-
« quence, comme il se rênd en ce pays, Voûs aurez
« soin de protéger et de soigner la personne du très-
« honorable susdit, et de faire ensorte qu’il puisse voya-
« ger d’une manière digne et honorable. Je vous prie
« de toujours m’instruire, par l’envoi de vos lettres,
« de l’état de votre santé et de celui des affaires. »
Dès le premier jour de mon arrivée à Meched, j’avais
loué à un caravanier à chameaux (serbàné) en partance
pour Hérat deux de ces animaux, nécessaires à
mon transport dans cette ville : l’un devait porter mes
bagages, à raison de un tornan, et je donnai un toman
et demi pour l’autre, qui devait être-affublé de deux
litières, une de chaque côté, dans lesquelles je me
jucherais, moi et mon domestique. Nous devions irrévocablement
partir le 28 mai, mais au moment où
l’on allait charger les chameaux, il s’éleva une rixe
sanglante entre les soldats du bataillon kurde de la
tribu des Gourànes, tenant garnison à Meched, et les
habitants de cette ville, les plus belliqueux citadins
de la Perse. Le combat avait précisément lieu devant
le caravansérail où j’étais descendu. La panique s’empara
aussitôt des pèlerins et des gens paisibles, qui
s’enfuirent à toutes jambes : les boutiquiers et les
spéculateurs en plein vent détalèrent; il ne resta bien-
i. 17