
le lait aigre étendu d’eau, comme aussi le petit-lait);
cela les soulage pour un moment, mais ils sont bientôt
plus altérés qu’auparavant, et se rejettent alors
sur l’eau, ce qui est la pire de toutes les ressources.
Quand les voyageurs ne logent pas au caravensérail,
et préfèrent faire élection de domicile chez un habitant,
celui-ci ne demande jamais de rétribution pour
le logement : mais il est d’usage d’acheter chez lui le
b o i s r la paille, l’orge et les vivres dont on a besoin.
Téhéran. — 3 mai. — Six farsangs, neuf heures de
route par un chemin plat, mais défoncé à chaque pas
par les eaux destinées aux irrigations des cultures. Les
villages sont très-nombreux de chaque côté de la
route.
Ce misérable Ivan avait si bien divulgué mes projets
à Hamadân, que tout le monde les connaissait, les
muletiers de noire caravane savaient tous que je me
rendais àHérat. Je découvris aussi que ce scélérat
avait remis à Melcom, le domestique qui 1 avait remplacé
chez moi, une lettre adressée au comte de Me-
dem, ministre de Russie près du Châh, et l’un de nies
persécuteurs, pour lui mieux signaler mon passage.
Par bonheur, je trouvai l’occasion de m’emparer de
cette lettre et de la faire disparaître.
Je m’étais d'abord déterminé à aller loger dans la
ville, mais je rétléchis que j’y serais trop en vue et
j’abandonnai ce projet qui, je le savais aussi, contrarierait
beaucoup le représentant de la France à Téhéran.
Ce diplomate pensait que ma présence lui causerait
des embarras, et quoique je n’eusse à me féliciter, ni
delà manière dont il avait soutenu mes réclamations
près du gouvernement persan, ni du résultat obtenu, il
n’y avait pas de raison suffisante pour moi de chercher
à entraver ses négociations : elles étaient faites dans
l’intérêt de la France, et j’ai toujours fait passer cet
intérêt avant le mien.
J’arrivai à Téhéran au moment où les premières
lueurs du jour commençaient à colorer les villages de
Chimerân, pittoresquement étalés au pied du mont
Elbourz, et le Kasr-Kadjar (palais des Kadjars), placé
sur un plan plus rapproché, et ombragé par les magnifiques
sycomores à l’épais feuillage, où j’étais allé
tant de fois chercher l’oubli des ennuis de la ville.
J’apercevais de tous côtés d’abondantes récoltes, encore
sur pied, et je marchais au milieu de nombreux villageois
qui portaient des denrées à la ville. Le soleil
se levait éclatant et radieux derrière le pic du Dama-
vend, et jetait sur ce tableau printanier un air de fête
et de contentement, qui contrastait singulièrement
avec les sentiments dont mon âme était oppressée. La
ville dans laquelle j’arrivais me rappelait de bien
tristes souvenirs : j’y avais reçu un grade élevé et joui
de la bienveillance du souverain, mais j’avais perdu
tout cela pour avoir voulu rendre service à mon pays :
puis, au lieu de l’appui que j’étais en droit d’attendre
du gouvernement qui le dirigeait alors, j’avais
été délaissé, abandonné et je rentrais à Téhéran proscrit,
sous un déguisement, et la figure à moitié cachée
par un bandeau, afin de me rendre méconnaissable. La
fortune est bien inconstante, et bien fou est celui qui
se fie à ses premières faveurs!... Toutes ces tristes
pensées s’agitaient et se heurtaient dans mon esprit, et